Mourir dans des sociétés démocratiques

L’inscription des migrations dans la mondialisation

par Catherine Withol de Wenden

Depuis vingt ans, les migrations internationales se sont inscrites dans la mondialisation du fait de la conjonction de nombreux facteurs survenus depuis ces vingt dernières années. Selon le Département de la Population des Nations Unies (état de 2013), sur sept milliards d’habitants sur la planète, on compte en effet un milliard d’hommes et de femmes en situation de mobilité. Dans la plupart des cas, il s’agit de migrants internes, au nombre de 740 millions, auxquels s’ajoutent des migrants internationaux (232 millions). Par migrant international on définit une personne née dans un pays et qui vit dans un autre pays que le sien. À ces migrants, qui incluent les migrants forcés (réfugiés au sens large du terme), souvent opposés aux migrants dits volontaires (travail, famille, études), viennent s’ajouter un milliard de touristes internationaux, non comptabilisés comme migrants. De leur côté, les experts du climat annoncent quelque 150 à 200 millions de déplacés environnementaux d’ici la fin de ce siècle. Cet état des lieux s’inscrit dans un contexte où la liberté de sortie s’est généralisée alors que le droit d’entrée s’est singulière-ment durci et que des tentatives d’inscription des migrations dans un processus de décision global et marqué par le multilatéralisme se mettent timidement en place.

Les défis démographiques des pays sahéliens

par Jean-Pierre Guengant

Les événements du début 2013, en particulier l’opération Serval au Mali, ont attiré l’attention sur le Sahel. Les turbulences de cette région du monde ont de multiples causes et la démographie y joue un rôle très significatif. Cette zone connaît une forte croissance démographique, source de problèmes sociaux. Si en effet l’Afrique subsaharienne sera le moteur de la croissance démographique du monde au XXIe siècle2 (de 831 millions de personnes en 2010, sa population passerait à 2,1 milliards d’individus en 2050 et pourrait atteindre 3,8 milliards en 2100 selon une hypothèse moyenne de baisse de la fécondité), elle est loin d’être homogène. Les 48 pays qui la composent connaissent des évolutions démographiques très diverses. L’Afrique australe est en train d’achever sa transition démographique par le passage de niveaux élevés à des niveaux faibles de mortalité et de fécondité, mais il faut y noter la forte prévalence du VIH/Sida qui a conduit à des augmentations de la mortalité. La majorité des pays d’Afrique de l’Est ont engagé leur transition, mais il n’est pas certain qu’ils puissent achever rapidement le processus.

Le congé parental, une parenthèse à valoriser

par Elodie Maurot

Aujourd’hui, en France, 289 100 personnes en « congé parental d’éducation » s’occupent à plein temps du soin de leurs jeunes enfants. Inscrit en 1977 dans le Code du travail, ce dispositif permet à un parent d’interrompre son activité professionnelle, sans solde, pour s’occuper d’enfants âgés de moins de trois ans, avec une garantie de retour à l’emploi. Près de 300 000 citoyens, cela fait beaucoup, pourtant ce groupe n’a que peu de visibilité sociale. Force est de reconnaître que le congé parental est sous investi socialement et politiquement en France. Cela s’explique par un double handicap. D’abord, s’il est ouvert aux mères comme aux pères, le congé parental concerne dans les faits un public quasi exclusivement féminin1. Or on sait combien, historiquement, les préoccupations des femmes furent marginalisées de la vie publique. Ensuite, il concerne par définition des personnes ayant renoncé au travail. Dans une société où le travail est une valeur phare et le principal lieu de sociabilité, ceux qui s’en écartent, même temporairement, disparaissent des écrans radars collectifs et peinent à faire entendre leur voix.

Mourir dans des sociétés démocratiques

par Denis Salas

Dans un de ses derniers récits, Le chasseur Gracchus, écrit alors qu’il était déjà très malade, Kafka raconte l’histoire d’un homme suspendu entre le monde des vivants et celui des morts. Victime d’un accident de chasse, il est trouvé, flottant entre deux eaux, par les mariniers d’un petit port de pêche. Il erre ainsi depuis longtemps dans une pauvre barque au milieu des eaux. La terre le retient mais ne veut plus de lui. Le repos éternel qu’il espère lui est refusé. Étendu sur sa civière, il se demande quelle faute mystérieuse il a commise pour mériter un tel sort. Il se couche alors pour attendre la fin.

Où en sont les relations entre catholiques et musulmans en France aujourd’hui?

par Christophe Roucou

Le 28 septembre 2013, à la Maison des évêques de France à Paris, le SRI, Service national pour les relations avec l’islam, fêtait ses 40 ans, sous la présidence du cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Depuis 1973, le contexte des relations entre catholiques et musulmans a bien changé, en France comme dans le monde. Dans ces conditions, il est bon de s’interroger : alors que des peurs vis-à-vis de l’islam se manifestent dans notre pays, peut-on encore s’engager dans le dialogue islamo-chrétien ?

La guerre de 14-18 : une crise de l’esprit ?

par Emmanuel Godo

« On a poussé très loin durant cette guerre l’art de l’invisibilité. » Ce vers d’Apollinaire résume dans sa simplicité presque lymphatique la tragédie que fut 14-18. Corps disloqués, effacés avec une force inédite d’anéantissement, dignités humiliées contraintes à une promiscuité effarante avec toutes les formes de l’abjection. Et combien d’idéaux, de principes, de thèses, d’arguments, de raisons mobilisés pour justifier ce qui devait au bout du compte se révéler injustifiable ? Le sens de la guerre est donné, à grand renfort de slogans et de structures de diffusion et les grilles d’interprétation fournies par ce que Céline nomme ironiquement dans Voyage au bout de la nuit « la religion drapeautique » font partie du matériel symbolique que le soldat emporte dans son barda. La guerre de 14-18 a été, comme le dit le philosophe Alain dans Mars ou la guerre jugée, « un drame d’idées », aboutissant à un discrédit durable du Logos.

L’Europe de Romano Guardini

par Stefan Waanders

Une polyphonie bien accordée Dans l’histoire européenne, c’est un phénomène récurrent : un effort ininterrompu d’ordonner l’architecture politique de cette presqu’île à partir d’un centre unique, que ce soit Madrid (Philippe II), Paris (Louis XIV, Napoléon) ou Berlin (Guillaume II, Hitler). Ces tentatives se heurtent continuellement à des résistances et sont vouées à l’échec, puisque l’identité européenne se caractérise précisément par une pluralité de voix propres, irréductibles à un unique État. Certes, les efforts consentis pour faire de l’ordre, après deux guerres mondiales, en se centrant sur la dimension économique, ont apporté de la nouveauté, mais il ne s’agit là, au fond, que d’une remise en ordre à partir d’un principe unique. Voilà que cet effort s’enlise aujourd’hui avec la crise monétaire et économique : cela semble bien cadrer avec l’histoire de l’Europe.

Deux avenirs au Palais de Tokyo

par Laurent Wolf

Le Palais de Tokyo propose depuis le mois de février dernier et jusqu’au mois de septembre une longue séquence d’expositions consacrées à des artistes qui choisissent « de se confronter aux vents du présent, [d’]agir pour élargir les savoirs et influencer les consciences, considérant que faire face à ces enjeux est aussi le rôle de l’intellectuel ». Jean de Loisy, le président du centre d’art contemporain, précise que le titre de ce programme, L’état du ciel, est inspiré par ces mots de Victor Hugo : « L’état normal du ciel, c’est la nuit. » « Cette remarque astronomique, continue Jean de Loisy, est ici entendue comme une métaphore pour montrer comment les expositions inventées par les artistes et les penseurs invités pour cette saison ne répondent pas à l’époque par la présentation du drame, mais par des fictions ou des poèmes visuels. »

Temps politique, temps de l’internet

par Antoine Lachand

Rien de tel qu’une année 2014 où viennent de se dérouler deux scrutins largement commentés pour se poser à nouveau une question aussi vieille que www – c’est-à-dire 25 ans, l’anniversaire vient d’être modestement célébré : le numérique transforme-t-il la vie politique ? Alors oui, à grands coups de Facebook, de bertranddupont2014.com ou changersaintfelicien. fr, de Twitter bien sûr, passage obligé pour tout candidat qui va s’exercer à une suite de brefs messages plus ou moins heureux, on aura vu progresser la présence des hommes et des partis politiques sur la toile, et internet s’installer durablement dans le paysage électoral français. Mais dans bien des cas, c’est encore et toujours un internet de communication, plaquette, programme, photos officielles, et non un véritable échange qui s’installe.

Du Oui et du non

par François Cassingena-Trévedy

L’on a vu naguère, et l’on voit encore de grands débats de société susciter de vives passions, descendre sur la voie publique et mobiliser des foules spectaculaires. Sans appel, sans nuance, sans merci – comme ils le sont presque toujours, dès l’instant qu’ils deviennent massifs, autrement dit lorsqu’ils s’aventurent à leurs risques et périls dans le domaine de la vulgarité au sens premier du terme (caractère de ce qui est général) –, des « oui » et des « non » s’affichent en toutes lettres, se voient brandis par les uns et par les autres, et fournissent prétexte à de farouches excommunications mutuelles. La légitimité et la respectabilité des motifs d’insurrection ne sauraient dispenser de faire œuvre de discernement au sujet de pareilles effervescences.