Intervention N°12

De la guérilla culturelle aux actions de guérilla artistique

par Guy Durand

Le 13 avril dernier lors des élections, les Québécois ont peut-être liquidé un des alibis présents de tous temps chez nos penseurs politiques. Avec le résultat négatif du référendum et leur projet politique de société «autre» mis en veilleuse, il ne reste aux péquistes que l'arsenal des mesures technocratiques d'organisation de la vie sociale et par extension de l'imaginaire. Ce que je soupçonnais semble vouloir se confirmer: l'élite au pouvoir tente de plus en plus de se substituer aux citoyens dans les débats 1 tout en sollicitant une participation accrue mais suivant des règles, leurs règles. C'est le cas des «Affaires Culturelles». Voilà pourquoi il faut revenir à ce qui dérange. Peut-on s'offrir des modes de communication communautaires à partir de l'activité artistique? Parler de guérilla culturelle en opposition aux dédales alléchants de la participation programmée dans les mécanismes qui font que l'on ne s'adresse à l'État qu'à titre de clientèle pour subsides?

Le marché des chromos: une industrie culturelle?

par Francine Couture

Les études du marché de l'art portent exclusivement sur le fonctionnement du marché de l'art savant duquel les chromos sont exclus. La peinture-chromo est généralement qualifiée, par les intellectuels et les artistes oeuvrant dans le champ de l'art savant, de «peinture commerciale». Quand une peinture est-elle commerciale? À quelles conditions de production et de diffusion ne l'est-elle plus? Dans son livre «Le marché de la peinture en France», Raymonde Moulin écrit que, dans toutes les sociétés marchandes où la création artistique et la clientèle se sont individualisées, où l'art est devenu la propriété d'une minorité, la spéculation sur l'oeuvre d'art a existé. Par exemple, en Hollande au 17e siècle, il s'est développé une production artistique qui semblait être conçue directement pour la vente, répondant aux besoins d'une nouvelle classe dominante de marchands et de manufacturiers qui achetaient des petits formats (paysage, scène de genre, portrait...). Il s'est alors créé un marché de l'art indépendant: si certains artistes ont continué à vendre eux-mêmes leurs tableaux, d'autres, par contre, se sont, soit mis au service des marchands, ou se sont associés à ces derniers et partageaient les bénéfices.

Les arts ont-ils un sexe?

par Rose-Marie Arbour

On peut s'interroger sur les fondements de cette disproportion qui existe entre le nombre de femmes étudiant dans les écoles et universités d'art (programmes en arts visuels) et le nombre de femmes dont la production est diffusée sur le marché de l'art (galeries commerciales et parallèles, musées, collections privées et publiques, concours). Une étude menée par Avis Lang Rosenberg (1) indiquait en effet que la participation des femmes dans les expositions a été de 29.8% en 1976 au Canada. Cette comparaison incite donc à réfléchir sur la situation des femmes-artistes dans le champ de l'art surtout lorsqu'on sait que la population étudiante de sexe féminin dans les Écoles d'art du Canada est de 50% environ et qu'à l'UQAM (Université du Québec à Montréal) elle était de 61% en 1979. À titre d'exemple, le Symposium international de sculpture environnementale qui eut lieu à Chicoutimi au cours de l'été '80, non seulement n'a pas fait exception à cette «règle» mais s'est distingué, dans le choix de ces finalistes (9 hommes, 1 femme), par un pourcentage particulièrement bas (10%) de femmes-artistes par rapport au pourcentage canadien dans un secteur équivalent, celui des expositions de groupes organisées par les musées. Reprenons le tableau des artistes acceptées et des artistes refusées.

La création apprivoisée

par Andrée Fortin

La science occidentale, depuis Aris-tote et surtout depuis Newton, avait toujours été déterministe. Dans la pensée rationaliste, déterminisme, causalité, linéarité, individualisme, histoire et écriture sont indissociables. Mais au début du XXe siècle, le déterminisme est pris en faute: le hasard apparaît dans la thermodynamique et dans le comportement des particules élémentaires, la psychanalyse révèle l'inconscient et son fonctionnement sauvage. Cette première crise scientifique sera surmontée quand on transposera le déterminisme du niveau individuel au niveau collectif; on dira désormais qu'il peut exister une liberté individuelle parallèlement à un déterminisme global. C'est là le fondement des statistiques, la «loi du hasard». Cette crise scientifique n'était pas sitôt réglée (ou plutôt évacuée?) que la cybernétique en a provoqué une seconde, encore plus grave. En effet, en cybernétique on parle de création d'ordre à partir de désordre, d'auto-organisation de la matière. La création qui avait jusque là appartenu au domaine religieux et méta-physique réintègre brusquement le lieu qui lui semblait le plus étranger: la science occidentale! La création est réhabilitée scientifiquement, elle est même prévisible; pas dans ses résultats exacts, mais dans son principe: on sait que du nouveau doit apparaître à un certain moment sous certaines conditions, même si on ne sait pas exactement, dans tous ses détails, ce que sera ce nouveau. Ainsi on peut prévoir l'apparition d'étoiles à partir d'amas gazeux, et même, contrairement à ce que pensait un grand savant comme Jacques Monod voir le Hasard et la nécessité), même l'apparition de l'a vie était prévisible de révolution, de l'auto-organisation de la matière.

L’activisme artistique: Le Guerilla Art Action Group.

par Fred Forest - jean-paul Thenot

à New-York nous a permis d'entrer en contact avec le QAAG. La dernière «oeuvre» consiste en une série de cartes (10) autorisant certaines actions Jugées illicites comme un «permis pour tuer» émis par le FBI ou un «permis de polluer» sanctionné par la Commission fédérale des communications. Nous reproduisons ici ces documents. Formé le 15 octobre 1969 dans le métro de New-York, le Guérilla Art Action Group se caractérise par une prise de position radicale vis-à-vis du système généralisé de l'art: le pouvoir politique dominant les institutions culturelles. Le QAAG est surtout l'oeuvre de Jean Toche et Jon Hendricks, quoique plusieurs actions ponctuelles ont engagé la participation de personnes plus ou moins liées à des mouvements d'artistes contestataires: l'Art Workers Coalition particulièrement. Le groupe intensifie ses actions artistiques dans et hors les lieux de l'art, mettant en position critique les institutions artistiques. Les actions/ événements du GAAG souvent agressives — comme le Blood Bath de novembre 1969 — démontrent que l'art et le produit de l'art sont les résultats d'une organisation sociale, bafouent le système muséologique*, montrent la connivence entre les gens qui gouvernent la société et administrent l'art.

Le groupe 1er Mai

par François Charbonneau

L'Histoire écrite a la mémoire courte! Celle qui s'écrit avec un grand H, officielle et reconnue, fait généralement peu d'histoires ou de cas des faits et gestes qui contredisent en quelque sorte ses affaires culturelles. Quiconque essaie de retrouver la trace des mouvements ou groupes minoritaires progressistes, ouvriers ou féministes s'en rend compte. Cela ferait, semble-t-il partie de la petite histoire non-institutionnelle, ne logerait pas au bon hôtel. Là encore, le fait n'est pas nouveau! À titre d'exemple, les écrits sur le développement de l'art moderne au Québec font grand cas des influences de certains noms et laissent peu de place aux vifs débats qui entourèrent l'apparition de l'art abstrait. Son affirmation, en passant par une opposition entre un paysagisme à tendance folklorique nationaliste et une abstraction à tendance libérale internationnallste, a jeté dans l'ombre des artistes engagés dans des pratiques progressistes à tendances socialistes qu'aujourd'hui quelques rares plumitifs comme nous récupèrent de la poubelle de l'histoire où ils furent précipités. Voulant contrer cette tendance qui, dans le champ de l'art comme dans les autres ne retient que les grands noms, nous aimerions ici, non pas retracer «nos» quelques refoulés de l'histoire mais simplement rappeler, avant que la rumeur ne l'emporte, la petite histoire d'un groupe qui, de '75 à '80 a tenté d'effectuer dans différents secteurs de la pratique sociale (galeries d'art, groupes populaires, comités de citoyens et organisations politiques) des interventions artistiques et idéologiques d'un point de vue progressiste.

La cinquième Pomme ou le principe de non-comparaison.

par Robert Filliou

Selon Charles Fourier, quatre pommes eurent une importance capitale pour l'humanité: 1. Celle qu 'Eve offrit à A dam 2. Celle du jugement de Paris 3. Celle qui tomba sur la tête de Newton 4. Celle dont le prix abusif fit comprendre à Fourier que quelque chose ne marchait pas dans la société de son temps, ce qui l'amena à l'étudier et finalement à concevoir son système d'harmonie. Dans cette photo tirée de la bande vidéo «Grâce à Fourier» réalisée à Véhicule (Montréal, 79-80) Robert Filliou illustre LA CINQUIÈME POMME ou le principe de non-comparaison, qui pourrait bien être inclus dans Front Madness to Nomad-ness un plan de cinq milliards d'années. Il s'agit de méditer l'histoire suivante: Deux personnes se partagent une pomme inégalement coupée en deux. Le premier à se servir prend le gros morceau. Le second râle devant ce geste. Le premier: «Qu'aurais-tu fait à ma place?» Le second: «J'aurais pris le petit morceau. » Le premier: «Mais tu l'as le petit morceau! Alors de quoi te plains-tu?»

Art engagé et question nationale : un point de vue, trois exemples

par Jean Paquin

L'examen de la production en art visuel du parti communiste ouvrier 1 peut apporter un éclairage inédit au débat sur la relation art et politique. Cette étude se fera à partir d'une illustration de la page couverture de la revue Octobre, d'une série de peintures signées Mario Côté et de deux sculptures (effigies) qui servirent à la manifestation du 1er mai '80 à Montréal. Produites en '80 durant la chaude bataille référendaire, ces réalisations visaient à illustrer la question nationale d'un point de vue particulier, celui de la classe ouvrière. Ces réalisations permettaient du même coup de concrétiser davantage certaines questions qui se posent actuellement, entre autre comment articuler politiquement lutte de classes et lutte nationale, comment situer le rôle de la classe ouvrière dans la résolution de l'oppression nationale et comment les artistes peuvent contribuer à l'avancement des luttes sur le terrain des revendications nationales

L’enseignement de l’art : Les conséquences sociales

par Suzanne Lemerise

L'analyse des rapports que le champ artistique entretient avec la société ne doit pas se limiter aux seules modalités de fonctionnement de certains secteurs de la vie artistique québécoise. On doit encore examiner les conséquences sociales du rôle des institutions. À cet égard, la formation du personnel enseignant les arts plastiques dans les écoles est déterminante. Cet article vise donc à éclairer les mécanismes et les systèmes de valeurs d'un de ces secteurs de la vie artistique moins légitimés par les instances officielles de formation, de consécration et de diffusion et qui ne reçoivent que peu d'audience.

Comportement en rupture

Lui arrive-t-il ? Est-il poursuivi ? Tourne-t-il dans un film ? Non. Il est seul. Beaucoup diront « c'est un dingue », d'autres. qu'« il est spécial- Le Groupe Untel parle de comportement en rupture. Des centaines de personnes dans plusieurs pays ont réalisé des comportements en rupture. On les appelle aussi performer. D'autres encore ont des comportements en rupture sans le savoir. C'est a ceux-là particulièrement, non artistes, que la proposition s'adresse : se mettre en situation de comportement en rupture, fane photographier 1 action, envoyer le constat photo, avec ou sans textes, au Groupe Untel qui rassemble les documents pour en faire un livre.

Le Pape et le Pouvoir

par Paul Warren

L'attentat contre le pape a suscité par le monde un sentiment de «stupéfaction» et d'«horreur». Les média, toujours à l'affût du sensationalisme et du vedettariat, se sont donné la main pour renforcer, pour faire naître dans bien des cas, l'émotion et la stupeur. En collant bout-à-bout les déclarations-slogans, graves et empesées, des chefs politiques et religieux du monde occidental, la télévision, la radio et la presse écrite viennent, encore un coup, de faire la preuve qu'elles servent, purement et simplement, de canaux de transmission au Pouvoir en place. Par un étrange phénomène de mimétisme qui sous-tend la vedettarisation et qui surdétermine le «qui se ressemblent s'assemblent», lorsqu'un membre du star-system est propulsé providentiellement au zénith de la gloire par la ferveur populaire, instinctivement, les autres membres du système s'agglutinent autour de lui pour bénéficier de sa lumière et redorer leur blason.

L’expérience d’Arthur Lamothe

par Gérald Baril

Cinéma «d'intervention» ou de «non-intervention», au fond la question n'est pas là; un film est toujours une intervention. Tout en étant conscient de ce fait il s'agit alors d'entretenir une relation avec le sujet filmé où ce dernier n'est pas écrasé par le poids du film. C'est ce que Arthur Lamothe appelle «se laisser piéger» (5) par le sujet, plutôt que d'essayer de le piéger. Déjà avec Les Bûcherons de la Manouane en 1962 (il y aura bientôt vingt ans...) Lamothe nous donnait un document où les bûcherons étaient au premier plan. Sa démarche l'a amené à entreprendre en 1973 la «Chronique des Indiens du Nord-Est du Québec II dont nous avons eu l'occasion de voir les quatre derniers films (6) en février et mars à Radio-Québec.