John Boorman Revisité

Joel et Ethan Coen Inside Llewyn Davis

par Franck Garbarz

Balade new-yorkaise d'un chanteur compositeur de folk, dans les années 60, Inside Llewyn Davis est une chronique de l'errance mélancolique, alors que True Grit cachait les blessures sous l'élégance de l'épure classique. Joel et Ethan Coen ne cessent de nous raconter l'Amérique dans toutes ses nuances : ici, le bariolage pop ou les tons chauds des peintres de l'Ouest laissent place à la grisaille, au froid et au labyrinthe des rues et des couloirs. Pourtant, quelles que soient les nuances, le ton est là : à la fois moqueur et chaleureux, mélancolique et drôle. Les frères restent fidèles à leur vision tout en ne cessant de se renouveler et de déployer un art de plus en plus riche et complexe. Une oeuvre en devenir, au meilleur sens du terme.

Roman Polanski La Vénus à la fourrure

par Stanislas Bouvier

Très remarqué au dernier festival de Cannes, où Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric s'imposaient comme de sérieux candidats au prix d'interprétation, La Vénus à la fourrure, vingtième long métrage de Roman Polanski, est l'une de ses oeuvres les plus remarquables et aussi l'une de ses plus personnelles. Inspiré d'une pièce de David Ives (qui a collaboré à l'adaptation cinématographique), grand succès sur scène à Broadway, le film évoque, par son huit clos, d'autres réalisations de Polanski (Cul-de-sac, La Jeune Fille et la Mort...) et, par son humour et sa progression vers le fantastique, l'ensemble de son travail. Le roman de Leopold de Sacher-Masoch avait inspiré Christine Letailleur dans sa mise en scène au théâtre de la Colline (février 2008) avec Valérie Lang et un jeune acteur polonais, Andrzej Deskur. Le thème trouve sa pleine et troublante expression sous la caméra d'un réalisateur de 80 ans au sommet de son art. Belle occasion pour une nouvelle rencontre avec Roman Polanski qui, dès ses courts métrages, nous avait donné un de ses premiers entretiens en Occident (n°33, avril 1960)

Venise, 70e Mostra

par Jean-Loup Bourget, Michel Ciment, Lorenzo Codelli, Yann Tobin

Merzak Allouache, Gianni Amelio, Alfonso Cuaron, Xavier Dolan, Stephen Frears, Philippe Garrel, Terry Gilliam, Amos Gitai, Kim Ki-duk, Patrice Leconte, Hayao Miyazaki, Errol Morris, Edgar Reitz, Gianfranco Rosi, Paul Schrader, Ettore Scola, Tsai Ming-liang, Andrzej Wajda, Wang Bing, Frederic Wiseman. Voilà vingt noms reconnus qui présentaient leurs films avec des fortunes diverses à la 70e Mostra de Venise. Si le rôle d'un festival est, entre autres, de donner des nouvelles, bonnes ou mauvaises, de la santé créatrice des auteurs qui comptent, la Mostra a bien tenu sa place tout en découvrant (autre tâche requise) de nouveaux talents.

Les Films

par Philippe Rouyer, Jean-Dominique Nuttens, Jean-Philippe Domecq, Pascal Binétruy, Jean-Christophe Ferrari, Ariane Allard, Nicolas Bauche, Pierre Berthomieu, Pierre Eisenreich, Eithne O'Neill, Hubert Niogret, Bernard Génin

- T.S. SPIVET - QUAI D'ORSAY - VIOLETTE -LE DERNIER DES INJUSTES - MES SÉANCES DE LUTTE - UN CHÂTEAU EN ITALIE - 9 MOIS FERME - PRISONERS - GRAVITY - CAPITAINE PHILLIPS - HEIMAT - SNOWPIERCER - JASMINE

Conversation avec Francesco Rosi

par Roberto Saviano

Il arrive qu'un cinéaste de quatre-vingt-onze ans ne cesse pas d'être nécessaire, non parce que c'est un vieux maître dont les grandes oeuvres prétendent être célébrées, mais parce que sa méthode, enquête-récit-beauté, sa façon de raconter suggèrent encore comment observer la réalité si on veut la démonter, la comprendre. Voilà pourquoi un film de Francesco Rosi parle au spectateur comme un film d'aujourd'hui.

L’Ange au cinéma Un face à face impossible ?

par Sandra Gorgievski

Médiateur entre deux principes radicalement disjoints, le divin et l'humain, l'ange était au Moyen-Âge supposé apporter une révélation au croyant grâce à la présence imperceptible que son image rendait manifeste. Aujourd'hui, en dépit de la désaffection des lieux de culte en Occident, il devient tour à tour métaphore du sacré, retour du réprimé, projection de soi et sentiment d'aliénation. Sous ses avatars profanes au cinéma (humanisé, sensuel et émotif, parfois impénétrable et magnifié dans la science-fiction), sa présence consolatrice comblerait-t-elle une absence dans un infini silencieux ? Les images de notre économie médiatique remplissent peut-être la fonction didactique des images culte au Moyen Âge, dans un contexte désacralisé qui repose néanmoins sur de nouveaux rituels et idoles. L'ange au cinéma surprend par son pouvoir de fascination intact.

John Boorman revisité

par Michel Ciment

John Boorman, à 80 ans, tourne Queen and Country, un film autobiographique sur ses années de service militaire qui est comme une suite de Hope and Glory, son enfance pendant le Blitz de la Seconde Guerre mondiale. C'est un accueil enthousiaste qu'a reçu au début de 2013 l'intégrale de ses films en sa présence, aussi bien au Premiers Plans d'Angers qu'au BFI. Un public souvent très jeune a pu mesurer l'ampleur et la diversité de ses seize longs métrages. Contrairement à l'oeuvre de ses confrères Mike Leigh et Ken Loach ou, à l'autre bord, celle de Peter Greenaway ou Derek Jarman, le cinéma de Boorman n'est pas aisé à classer pour les amateurs d'étiquettes. Comme celui de Kubrick, son éclectisme apparent cache une quête obstinée où se mêlent un univers mythopoétique et un regard aigu sur le monde qui nous environne. Avec ses thèmes et ses obsessions, il travaille à l'intérieur de genres cinématographiques qu'il explore et redéfinit : le film de gangsters (Le Point de non-retour), de guerre (Duel dans le Pacifique), d'horreur (L'Hérétique), de science-fiction (Zardoz), d'espionnage (Le Tailleur de Panama), le western (La Forêt d'émeraude et, en un sens, Délivrance) la fable (Léo the Last, Tout pour réussir), l'épopée (Excalibur). Comme pour Michael Powell, cet éclectisme déroute. Comme lui, il apparaît rétrospectivement, selon les termes de Philip French (un des meilleurs critiques anglais), " comme l'un des plus grands metteur en scène que la Grande-Bretagne ait produits ". Comme Powell aussi, il est attiré par le monde de l'imaginaire, des rêves et du fantastique, sans ignorer les poblèmes de la planète, ce qui le distingue de la tradition réaliste d'outre-Manche. D'où notre souhait de revenir sur le parcours d'un cinéaste défendu depuis le début dans nos colonnes et qui est une référence pour ses contemporains américains, de Coppola à Scorsese. Ce dossier se propose aussi d'évoquer ses deux derniers films In My Country (2004) et The Tiger's Tail (2006), toujours scandaleusement oubliés par la distibution française.