Se débarrasser de Proust et Céline?

Jean-jeudi

par François Cérésa

Les coups de tête en football occasionnent des lésions cérébrales comparables à celles causées par des traumatismes crâniens. Certains disent que le football rend con. Un joueur pro touche la balle de la tête de six à douze fois par match. Vous voyez un peu le topo. Aux coups de tête, Henry Mille préfère les coups d’autre chose. Autre chose, chez lui, se nomme jean-jeudi. Ce qui, dans l’ordre des prénoms, vaut tout à fait jean-nu-tête ou charles le chauve. Dans “Le monde du sexe”, qu’on vient de rééditer chez Bartillat dans une nouvelle traduction, Henry Miller a de sacrées envolées. Tel un footballeur, il touche la belle de six à douze fois par match. Ni lésion ni migraine. On s’amuse. C’est moins vulgaire qu’à la télé. Comme chez Bukowski, il y a du sexus dans l’air. On est tranquille à Clichy. Tous les diables sont au paradis. Le style est clair, limpide, cursif. « L’amour est l’aimant qui rapproche le yin et le yang », écrit Miller. Jean-jeudi voit beaucoup plus loin que le bout de son nez. Pour les vacances, on vous conseille Miller. Hello, le soleil brille ! Vive les tropiques !

Bobby à la pointe

par Gérard Pussey

Après ses années de Résistance dans le maquis de Georges Guingouin, le Limougeaud Robert Giraud ne regagne pas sa ville natale et se lance dans l’exploration de l’asphalte parisien. Il a la trentaine en 1950. Divorcé, sans un sou, il dégringole dans les bas-fonds où il rencontre les traîne-patins qu’on retrouvera dans son premier livre, « Le vin des rues », publié en 1955, qui assoira d’emblée sa notoriété d’écrivain expert en énergumènes. Nous voici dans un territoire littéraire connu, arpenté par Carco et Mac-Orlan, où règnent l’argot et la débrouille. Giraud sait de quoi (et de qui) il parle puisqu’il a partagé pendant quelques temps le destin de ces clochards – lui jouissait cependant d’un endroit où dormir, cette nuance a son importance : « La cloche, en argot, c’est le ciel, explique-t-il. Sont clochards tout ceux qui n’ont que le ciel pour toit ».

Miomandre, notre dernier petit maître

par Jean Chalon

Ce Cupidon marseillais, ce Rastignac besogneux, cette vivante machine à écrire, ce Prix Goncourt 1908 tombé dans un oubli complet, c’est Francis de Miomandre, que ressuscite magnifiquement Rémi Rousselot dans la biographie qu’il lui consacre. Miomandre a toujours écrit et ne s’est jamais arrêté d’écrire. Il s’est essayé à tous les genres, les poèmes, les romans, les essais, les articles. A cinq ans, il avait déjà composé un roman. Il en écrira 80 ! Francis de Miomandre naît le 22 mai 1880 à Tours. Il est le fils d’un négociant chimérique, Gilbert Durand et d’une jeune aristocrate, Marie-Thérèse de Miomandre. En 1888, la famille Durand quitte Tours pour Marseille. Pour cet enfant de huit ans, la découverte de Marseille et de la Provence constitue un éblouissement qui durera toujours. Elève des Jésuites, il collectionne les prix d’excellence. Sa mère meurt, son père disparaît. Il acquiert ainsi une liberté dont il profite pour flâner, lire, écrire, vivre au jour le jour le roman d’un jeune homme pauvre, mais riche de multiples espérances. Il a vingt ans en 1900. Comment peut-on avoir vingt ans en l900 sans être à Paris ? Paris est alors le centre du monde, le miroir où les alouettes de tous les pays viennent se prendre.

Chanel au Panthéon

par Gilles Martin-Chauffier

Il paraît que le président de la République cherche à peupler le Panthéon. Très bonne idée. Pour l’instant, il réfléchit. On sait que cela risque d’être long. François Hollande est ceinture noire de tergiversation. A force de ne pas vouloir réveiller les ardeurs râleuses de l’extrême-gauche, il semble souvent s’assoupir lui-même. Quand il prend enfin une décision, tous les 36 du mois, elle semble en général aussi délayée que le café américain. Cela dit, s’il souhaite à son tour bricoler dans le mémoriel, tant mieux. Et qu’il tâche donc de sortir des sentiers battus ! On en a assez des écrivains bien-pensants, des hommes politiques humanistes et des militaires tapissés de médailles. S’il s’agit de rendre hommage aux personnalités qui donnent son éclat à la France, l’Elysée pourrait, par exemple, piocher dans le vivier de la mode. Quinze noms connus sur les cinq continents viennent tout de suite à l’esprit mais, puisque la tendance est à choisir une femme, Coco Chanel s’impose. Elle se tenait là, droite, nerveuse, métallique, tendue comme la flèche prête à quitter l’arc. Elle cultivait une belle sensibilité à la Robespierre. Elle était mince comme un crayon et pensait qu’il n’y a que deux saisons, le printemps-été et l’automne-hiver. Elle était odieuse et fascinante et, sous l’Occupation, elle n’a pas eu le bon goût de retenir son souffle pendant cinq ans.

Se débarrasser de Proust et Céline ?

par Philippe Vilain

Il me semble que le débat récent, réactualisé à l’occasion du centenaire de « Du côté de chez Swann », autour de la question relative à l’héritage proustien dans la littérature contemporaine -comment se débarrasser de Proust ?- repose sur une idée reçue, une perception erronée du rôle occupé par une œuvre comme « A la Recherche du temps perdu », peu lue en dehors de l’université, dont les quelques épigones demeurent en minorité visible dans le paysage littéraire de ce début de XXIème siècle. La question serait, à mon sens, de se demander pourquoi vouloir se débarrasser de Proust qui a cessé d’être un modèle pour les écrivains contemporains ? Un examen attentif montre bien, en effet, que la littérature dominant ce paysage est oralisante, célinienne, écrite au présent, singulative (qui raconte une fois ce qui s’est passé une fois), et qu’elle s’écrit contre la littérature itérative proustienne qui, synthétique, intellectuelle, analytique, soucieuse de capter l’essence du monde, raconte, elle, une fois ce qui s’est passé plusieurs fois : l’écriture ne s’est pas proustisée, elle s’est célinisée.

La Riviéra de Maugham racontée par Rivière

par Gilles Brochard

Somerset Maugham (1874-1965) est un vrai personnage de roman. Une tête de sphinx ridé, un léger bégaiement, une imagination fertile, quelques blessures d’enfance (il fut orphelin très jeune), des amours ambidextres et une morale excentrique décomplexée : tel apparaît ce dandy autant apprécié par Churchill que par Cocteau. Harold Acton dira de lui qu’il avait « un côté raide de colonel » et Beverley Nichols, l’auteur de « Twilight », parlera de lui comme d’un « petit homme contrefait mais charismatique aux lourdes paupières de reptile voilant une malice féroce ». Quant à Frédéric Prokosch il notera : « Les poches, sous ses yeux, avaient un air de dépravation à la Caligula ». Fuyant « l’étouffante atmosphère de Londres », Willie cherchera le soleil et la gaieté à Séville, Honolulu, Florence ou la côte d’azur. Accumulant les pièces à succès, il vivra en partie sous sa bonne étoile aux côtés de Gérald Haxton, Américain de vingt ans, « aimant les garçons, l’alcool et le jeu », qu’il rencontra en 1914 sur le front des Flandres, alors qu’il est engagé comme médecin militaire auprès de la Croix-Rouge.

Et ta sœur !

par Paul Desalmand

Charles Dantzig se présente comme un stendhalien pur sucre puisqu’il vient – d’une façon un peu abusive, il est vrai – de ressusciter le Stendhal Club. Or voici ce qu’il écrit dans son « Encyclopédie capricieuse du tout et du rien » (Le Livre de poche, 2010, p. 377) : « Quel dommage que Louis XIV n’ait pas eu de sœur.

Tam-tam dans les gamelles

par Jules Magret

Phan Chi fait du tam-tam avec la grailletouse, ce qui est normal, vu que Phan Chi se blaze Tam, un petit Asia d’origine viet qui s’est longtemps cassé le bobun au Ritz et au Mandarin oriental, avant de ralléger la rue de Lille. Pour la peine, ses cuisses de grenouilles en croquettes, feuille de brick et patate douce, valent le détour. Aux Climats (crus bourguignons) plutôt beau fixe. Cet ancien réfectoire des dames des PTT où l’on détachait un timbre en mouillant le goupillon est un espace chira bang bang qui vous agite la manivelle. La méga crampette, aux Climats, restau qui brille par son exclusive cave made in Burgundy, histoire de vous tirebouchonner le brouille-ménage, c’est la déco, le volume, les armoires à mazout, le rince-cochon à ta zoute, le ballet des maquereaux, de l’onglet et du tartare de veau p’tits pois. Pour le cabillaud nacré, minute papillon, on vous le cloque mister Tam, c’est tim, tam, toum, un plat bléchard, pas cuit, à vous décrotter de la poiscaille, qui empeste le guignon, la croûte à mouiser les ratiches. Du michto pour tout, sauf pour la morue. Aminches bourguignons, rappliquez icign, c’est du jojo, grands flacons, choix sardanapalesques, belle boutanche de chez Rossignol (cui-cui !) à 29E !