Identité nationale laïcité et métissage

Le triomphe de la biographie

par Jacques Aboucaya

Niveleuse, égalitariste. Telle est, chez nous, la pensée dominante. Le héros la hérisse. Son idéal, que pas une tête ne dépasse. Sa phobie, le particulier. Elle le noie dans le général, le dissout, l’anéantit. Lui dénie toute influence. Elle raisonne par catégories. C’est la faute de l’École des Annales qui a déclaré la guerre à l’histoire événementielle. Et, par voie de conséquence, à ses acteurs. Il est aujourd’hui question de faire passer à la trappe, dans les programmes scolaires, certains d’entre eux, et non des moindres : Jeanne d’Arc, Napoléon. On les remplacera par des abstractions grandioses. Des mouvements d’idées. Ainsi va le progrès de l’intelligence. Pourtant, la biographie remonte à la plus haute antiquité. Parmi les premiers champions du genre, Suétone et Plutarque, l’auteur de la Vie des hommes illustres (« Mieux vaut Plutarque ? Jamais ! », dicton latin résolument apocryphe, attribué à ses détracteurs). Elle a prospéré au fil des siècles. Les Américains s’en sont fait les champions méticuleux. Ils en nourrissent d’impressionnants pavés. De la moindre note de blanchisseuse, ils tirent un chapitre entier. Nombreux, chez nous, ceux qui tentent de les égaler. C’est que les peuples ont besoin d’admirer. Et même de s’identifier à un modèle. La vie des grands les fascine. Des grands et des moins grands, pourvu que la célébrité les ait effleurés de son aile. D’où le succès actuel des vies de stars, du cinéma ou du sport. Le genre ne s’est jamais mieux porté. Il embrasse les plus vastes domaines. Avec des bonheurs divers. Parfois, une complaisance certaine envers le voyeurisme.

Cécilia ex-Sarkozy au parloir

par Christian Montaignac

Dès à présent, mauvais équipier, il me faut le dénoncer. L’autre jour, en pleine cogitation sur un roman de la rentrée à traiter, François, pas le pape, ni l’autre, pépère, le nôtre, Cérésa, m’a dit, avec force et sympathie : « Tu te poses trop de questions, tu n’as qu’à faire le bouquin de Cécilia que l’on voit partout et qui me sort par les yeux ». Si peu rebelle, il ne faut pas le contrarier notre François, je me suis contenté de détourner l’œuvre sans débourser (vingt euros moins dix centimes tout de même) et je l’ai dévalée. Signée par Cécilia Attias (ex-Sarkozy pour les attardés), elle s’intitule “Une envie de vérité”, ce qui s’impose comme une invitation à suivre. Et à reconnaître que j’ai pratiqué le saute-mouton au long des trois cents pages. Impossible de retenir quelque chose, un passage, un mot, même pas le nom de celui ou celle qui a prêté sa plume à l’entreprise là où le plumeau eut fait l’affaire. Allons, il y a toujours une exception. Ainsi, je me suis précipité sur l’épisode de Cécilia à Tripoli en train de sauver les infirmières bulgares pour savourer la cocasserie d’une image, celle du Cardinal Guéant laissé sur le trottoir « une mèche dressée toute droite sur la tête ». Mais à part ça ? Rien. Oui, rien de rien, je ne regrette rien, en particulier de ne pas avoir acheté ce bouquin même pas bon à alimenter le dîner en ville, la version snob du café du commerce.

Oncle Phil’et JFK

par Pascal Praud

Kennedy, c’est lui comme Madame Bovary, c’est Flaubert. Cinquante ans que Philippe Labro écrit sur JFK. Cinquante ans qu’il scotche le lecteur. Oncle Phil’ entre chez vous, s’assoit près de la cheminée et commence son histoire avec scénario, dialogue et mise en scène : il était une fois John Fitzgerald Kennedy. Kennedy « magnétique » et sa « faculté de fabriquer du silence » Kennedy « sexy et comestible ». Kennedy perclus dans sa chair. Kennedy qui a toujours l’air d’un type qui vient de passer sa journée à la plage. La légende Kennedy, quoi : « Gagner, ce n’est pas tout, mais perdre, c’est l’enfer, loi d’airain du clan ». Il existe une face B que Labro réhabilite : Kennedy, cultivé, lecteur d’Homère et de Stendhal. Le 35e président des États-Unis a empêché une troisième guerre mondiale en octobre 1962. Il a réglé la crise des missiles de Cuba contre l’avis des militaires et de l’état-major.

La Grande guerre de Genevoix

par Bernard Morlino

Mieux qu’un héros, le poilu était un homme. La jeunesse pense qu’il suffit d’avoir les cheveux longs, un Levi’s et des tatouages pour être dans le coup, qu’un écrivain en costume est ringard. Maurice Genevoix (1890-1980) ressemblait à Fernand Gravey et André Luguet, des acteurs dont on ne se souvient plus, peut-être « datés ». Genevoix ne l’est pas. Il suffit de lire “Ceux de 14” pour comprendre. Un grand prosateur au service d’une langue majestueuse. Simple, précis, émouvant, fraternel, Maurice Genevoix n’a pas d’équivalent dans le registre des mémorialistes de la guerre de 1914-1918. Chez lui, pas de morceaux à la Céline. Dans “Ceux de 1914”, l’ennemi du marketing littéraire rapporte les visions atroces de la première boucherie du xxe siècle. Barbusse, Dorgelès et Vercel n’ont pas le monopole de la souffrance. Plus proche des témoignages de Gabriel Chevallier, Jean Giono, Léon Werth, Maurice Bedel et Blaise Cendrars, Maurice Genevoix reste l’écrivain majeur de cette « vacherie de guerre » qui provoqua la mort de 1 396 000 soldats français. Voici l’atroce comptabilité : 9 millions de cadavres, sans parler des millions d’invalides, de veuves et d’orphelins. « Ce que nous avons fait, c’est plus qu’on ne pouvait demander à des hommes, et nous l’avons fait. »

Dear Miller

par François Cérésa

Dear Miller François Cérésa le 3 décembre 2013 dans la rubrique Littérature étrangère Email Réédition de deux beaux romans du génial et inclassable Miller. 71005_henry-miller Quand Norman Mailer dit qu’Henry Miller n’est pas un écrivain social, mais un écrivain sexuel, il n’a pas tout à fait tort. On peut voir Miller comme une sorte de Woody Allen séminal, travaillé par le coït, cornard en puissance, à la fois Arlequin et matamore. Ce type qui a écrit “Sexus”, “Jours tranquilles à Clichy” et les “Tropique”, odyssées génitales où les organes d’un Ulysse obsédé par le pieu de Polyphème se confondent parfois avec l’hystérie de sciences parallèles (Miller se passionnait pour l’astrologie), a aussi signé l’incroyable “Diable au paradis” et le formidable “Colosse de Maroussi”. On ne refait pas son Miller. Cet admirateur de Céline qui aime panacher la fiction et l’autobiographie, féru de crudité verbale, gentleman prolo, la dalle en pente, papa putatif de ce vieux Buk, rigolo francophile cocufié par cette salope de June, enfumé par l’ensorceleuse Anaïs Nin, n’arrête pas de se raconter dans le lyrisme et de rendre lyrique ce qu’il a du mal à raconter. On biche. Dans “Crazy Cock”, le foutriquet Henry, pas encore Miller (nous sommes en 1920), assiste impuissant aux ébats de sa femme June et d’une sémillante goudou qui lui brise le cœur. Miller est un gars qui chancelle.

Les Verts polluent la couche d’ozone

par Jules Magret

La déco cinoche de cet estanco paumé dans un chef-lieu de canton du Brionnais nous file les croissants. Ça tombe bien, juste à côté, il y a un kebab craspec, tortore à la noix, vapeur de pois chiche, qui vous graisse les babouches. Béatrice Héritier, elle, c’est son blaze, bosse en ermite du Hoggar, seulabre, genre « I am a poor lonesome cowgirl… » La réception, c’est elle, la commande, c’est elle, la cuisine, c’est elle. L’ubiquité de cette nonnette du pralin qui pourrait être une rescapée du premier cloître de bonnes sœurs en France au Moyen-Age (authentique), vous argourgne la chaudière en un poil de cul. Avec la rouillarde de Beaune 1er cru et les kirs au cassis, on dégage la caisse d’épargne. C’est du rouleau. Deux kirs pour 12 euros, ce qui fait une moyenne avec deux kirs pour 30 euros, à Paris, dans ce Mini Palais où n’importe quel gazier se bourre le manezingue à la berlure, c’est douceur. On poireaute, certes, bicause la mouquère a le champ d’action en carafe. Mais côté crochets, on biche. Le velouté de courge ravit le toboggan, l’imposant filet de sandre est cuit à merveille, le foie gras vous pelote la brioche. Du chocknosof pour Ribouldingue et Croquignol. Bessif on attaque le dessert, une meringue pralinée fatiguée du choco, médiocre, du coup on s’étrangle un glass de mazout, et là, tic-tac les aminches, on reprend du tube, bravo la régalade, direction le pucier, miss Héritier a blanchi le couvercle !