Vincent Citot (Le Philosophoire)

03/01/2014
  • Scopalto Vincent Citot, pouvez-vous vous présenter ?
  • Je suis directeur de la revue Le Philosophoire. Ca ne suffit pas ? Non, parce que, s’agissant d’une revue de philosophie, on aimerait savoir si son directeur est, ou non, un universitaire, c’est-à-dire s’il a une légitimité académique.

    Pour régler rapidement cette question, je dirai que j’ai obtenu mon Doctorat en 2003 et l’agrégation en 2009, et que j’enseigne la philosophie dans le Secondaire en tant que « TZR » (c’est-à-dire remplaçant en région parisienne) ainsi que dans le Supérieur en tant que vacataire. Mais mon rapport à la philosophie est plus existentiel qu’institutionnel.

    Mon ambition est d’abord de pratiquer cette discipline du mieux que je peux.

    Pour le reste, je suis un Parisien de 38 ans, aimant toutes les bonnes choses, et par-dessus tout les choses de la culture, l’histoire, les sciences humaines en général, les voyages et la photographie (que je pratique à mes heures).

  • Et votre revue, quelles sont ses particularités, son parti-pris ?
  • Le Philosophoire est une revue de philosophie générale (ouverte à tous les domaines de la philosophie) indépendante (non affiliée à une institution) et pluraliste (non rattachée à une école de pensée). C’est une revue de recherche (plutôt que de vulgarisation), et de recherche en philosophie (plutôt qu’en histoire des idées).

    Le monde des revues de philosophie et des publications contemporaines en philosophie tend à se diviser en deux : d’une part les revues et les essais qui s’adressent à un très large public, mais qui sont plutôt des diffuseurs que des créateurs d’idées ; d’autre part les revues et les ouvrages académiques, qui se replient sur l’histoire de la philosophie pour se donner une sorte de légitimité “scientifique”.

    Certes, je caricature un peu. Au Philosophoire, nous n’ambitionnons pas d’être diffuseurs de philosophie (d’autres le font très bien), ni historiens de la philosophie (nous avons trop de respect pour l’histoire), mais philosophes (autant que possible…).

  • Comment la revue est-elle diffusée ?
  • Par scopalto !
  • Oui, je vois… mais encore ?
  • Nous sommes édités par Vrin, diffusé en France et dans le monde francophone par Dif’pop, et en version numérique par Cairn.
  • Papier/digital, une complémentarité, une menace, un intérêt, un antagonisme... qu'en pensez-vous ? et quelle est votre politique sur le sujet ?
  • Avec un recul de deux ans (nous ne sommes diffusés en numérique que depuis début 2012), nous constatons un petit recul des ventes en papier, mais surtout un énorme accroissement de notre lectorat (via le numérique). Notre souci étant de diffuser la revue le plus largement possible, nous sommes très favorables au numérique. Mais nous ne laisserons pas tomber le papier !
  • Le Philosophoire est-il une revue multilingue ?
  • En attendant que le monde entier ne se mette au français, nous consentons à traduire en anglais les résumés de chaque article publié… Si nos moyens le permettaient, nous n’aurions rien contre le fait de traduire davantage. Nous ne le ferions pas dans l’idée que le français est une langue régionale à dépasser, mais pour drainer vers le français un lectorat plus international.
  • Quels ont été pour vous les numéros les plus marquants de votre revue ?
  • Le numéro un a été, incontestablement, le plus marquant. C’était l’avenir qui s’ouvrait, et la liberté d’écrire autre chose que de petits travaux universitaires. Surtout, nous avions le sentiment qu’avec sa ligne éditoriale, la revue rendait service à la pensée philosophique contemporaine (nous n’étions pas très modestes à l’époque…), et n’était donc pas simplement le projet narcissique d’un petit groupe. Le numéro quarante (« La Pensée philosophique », déc. 2013) est également marquant, dans la mesure où il revient, 17 ans plus tard, sur notre thème fondateur : la nature et les exigences de la pensée philosophique.

  • Le projet du Philosophoire, tel que vous l’avez défini, a-t-il débouché sur des effets réels dans le champ de la philosophie ?
  • Oui et non. Commençons par le “oui”. La revue a creusé sa place dans le paysage des revues de philosophie francophones ; elle est reconnue et appréciée pour sa ligne éditoriale.

    Les chercheurs (doctorants, postdoctorants ou philosophes confirmés) sont de plus en plus nombreux à proposer des articles à la revue.

    Les uns y trouvent un rafraîchissement salvateur, après des années consacrées à leur Thèse – travail d’érudition pas toujours épanouissant intellectuellement (au dire des auteurs eux-mêmes).

    Les autres y voient une occasion de généraliser certains aspects de leur pensée, en sachant qu’on ne refusera pas leur texte au motif qu’ils parlent en leur nom propre, ou que le quart de l’article n’est pas occupé par des références et des notes de bas de pages.

  • Alors pourquoi faut-il ajouter un “non” à ce “oui” ?
  • Parce que ces « effets », pour être réels, n’en sont pas moins marginaux. Cette marginalité a des causes structurelles liées au contexte du champ intellectuel contemporain. Nous voulons publier des philosophes. Mais ceux qui ont le courage ou la vanité de penser en philosophes n’écrivent plus guère dans les revues : pour donner à leur pensée la dimension plus large, ils privilégient les livres – dont certains peuvent être des succès éditoriaux. Ceux qui publient dans les revues (de recherche) sont plutôt des universitaires désireux de gonfler leur CV en vue de telle ou telle postulation. Ils veulent « publier utile », et pour cela, il est plus rentable de faire de l’histoire de la philosophie.

    En outre, les revues de recherche, quelles qu’elles soient, ont un public assez restreint. Donc au total, nous semblons condamnés à trouver difficilement des auteurs (philosophes) et des lecteurs (de revue). Malgré tout cela, Le Philosophoire se porte bien, du côté des auteurs comme des lecteurs. Donc nous continuons à travailler, et nous verrons bien si une future reconfiguration du champ intellectuel et éditorial nous fera passer de la marginalité à la célébrité.