Odeurs

Les futurs de l’odorat

par André-Louis Paré · trad: Oana Avisilichioaei

Des chercheurs et chercheuses du domaine de la réalité virtuelle sont à mettre au point un dispositif permettant de humer différentes odeurs associées aux images émises par le casque VR. À la suite des tentatives peu concluantes du cinéma odorant des années 1950, les mécanismes proposés montrent désormais des signes encourageants. Jusqu’à maintenant, le métavers se contentait de reproduire les aspects visibles et auditifs, parfois aussi le toucher, mais avec l’apport de l’odorat une étape de plus est franchie. Elle ajoute une nouvelle dimension affective à l’expérience des usager·ère·s.

Un monde d’odeurs

par Didier Morelli · visuels: Shanie Tomassini, Pope.L. · trad: Nathalie de Blois

Depuis que j’ai adopté mon chien Cosimo, je l’observe flairer son chemin dans son environnement. À chaque promenade, surtout celles où je l’emmène dans des endroits qu’il ne connaît pas, il balaie le sol de sa truffe avec frénésie et suit les effluves nouveaux qui emplissent ses narines. Parfois, quelque chose de particulièrement alléchant active les neurones de son épithélium olfactif. Tirant sur la laisse, il tente désespérément de me conduire vers une chose que je semble incapable de percevoir avec mon nez d’humain non entraîné et génétiquement fort peu doué. Je résiste à l’envie de l’éloigner de la trajectoire voulue, vers un écureuil taquin, une croûte de pizza abandonnée ou l’urine d’un autre animal. Je lui fais confiance et le suis, en me demandant ce que ce serait de vivre dans un cadre odoriférant.

Futures olfactifs

par Gwenn-Aël Lynn, Debra Riley Parr · visuels: Julie C. Fortier, Ted Neenan · trad: Luba Markovskaia

Pour déterminer la trajectoire future de l’art olfactif, il convient de se pencher sur le champ actuel de cette pratique artistique. D’après la définition que propose Pierre Bourdieu du champ de production culturelle, l’on peut aisément constater que le champ de l’art olfactif n’est pas encore tout à fait établi. Son avenir demeure donc sujet à toutes sortes de conjectures. En ce moment, il existe bien sûr des œuvres d’art qui incorporent d’une manière ou d’une autre des matériaux odorants. Quantité de créateur·trice·s produisent de telles œuvres et, au-delà des artistes olfactifs à proprement parler, on en compte encore davantage qui intègrent les odeurs dans leur travail.

Manon Bellet. Respirer, résister: en souvenir du paysage

par Laurence Schmidlin · visuels: Manon Bellet · trad: Bernard Schütze

Lorsque l’artiste franco-suisse Manon Bellet quitte Berlin pour s’installer à La Nouvelle-Orléans, en 2016, elle fait d’abord l’expérience de son nouvel environnement par son caractère olfactif : elle sillonne la ville à vélo, humant sur son passage les effluves dégagés par le sol mouillé en permanence (en raison du fort taux d’humidité de l’air), les arbres en fleurs, les eaux stagnantes ou encore la végétation des marécages cernant la ville. Parallèlement, elle se confronte à un paysage vulnérable qu’elle voit se détériorer un peu plus chaque jour en raison de nombreuses catastrophes naturelles, du réchauffement climatique et de l’activité des compagnies pétrolières implantées dans la région. Le dépaysement qu’elle ressent, à la suite de ce changement radical de territoire, la conduit rapidement à tisser des liens avec les habitant·e·s, dont beaucoup ont connu des situations de déracinement, en raison soit de mouvements migratoires, soit de l’érosion des terres qui les a poussé·e·s à abandonner leur logement. Bellet va ainsi placer la population locale au cœur de ses nouveaux travaux et s’attacher à la question des odeurs et à leur puissance mémorielle, prenant conscience du rôle que la perception olfactive peut jouer dans la conservation de lieux à jamais perdus.

Stratégies d’induction. Dans les pratiques olfactives contemporaines

par Clara Muller · visuels: Amy Yao, Sean Raspet Kinder, Magali Daniaux, Cédric Pigot · trad: Käthe Roth

Les écrits sur le sens olfactif mettent couramment au premier plan la « puissance » ou les « pouvoirs » de l’odeur et de l’odorat. Ce vocabulaire, loin d’être aussi fréquemment employé dans le cas des autres modalités sensorielles de l’être humain, laisse entendre que la capacité de ce sens, longtemps négligé à produire des effets sur les individus, revêtirait une importance particulière. Mais alors quels sont-ils ? Et si, comme l’écrit John Dewey, « les effets esthétiques appartiennent intrinsèquement à leur médium », quels sont ceux qui appartiennent spécifiquement à l’odeur dans le champ de l’art ? De quoi découlent-ils et comment sont-ils manipulés par les artistes contemporains pour donner du sens à la sensation ? Pour ébaucher une piste de réponse, cet article s’appuie sur des œuvres olfactives presque entièrement dénuées de matérialité visible ou tangible. Ces œuvres monosensorielles qui occupent l’espace vide du white cube, terrain qui fut longtemps celui de l’Œil pur, y déploient ce qu’Yves Michaud nomme des « stratégie[s] d’induction », de nature bien particulière. C’est-à-dire qu’elles usent des moyens propres à leur médium — les molécules odorantes — pour générer un certain nombre d’effets choisis, d’ordre aussi bien physiologique qu’émotionnel.

Diaspora : Rample Sny de Thania Petersen

par Vusumzi Nkomo · visuels: Thania Petersen · trad: Maryse Arsenaeault

Dans Black Skin, White Masks, le psychiatre martiniquais Frantz Fanon semble déchiré par les « faits » qui « surdéterminent » le Noir, et qui, par son « odeur sui generis », le fixe aux yeux de « l’autre » ; son problème principal, qui est d’être « esclave non pas de l’idée que les autres se font de [lui], mais de [sa] propre apparence », est aggravé par le problème de son odeur : ses « sous-vêtements de nègre [qui] sentent le nègre ». Dans cette partie du chapitre The Lived Experience of the Black Man, Fanon se préoccupe du « regard blanc, le seul regard légitime » qui le fixe et le dissèque, telle une imposition externe de significations sur son corps qui le rend incapable de passer inaperçu en tant que sujet racisé. Je soutiens que Fanon ne se contente pas d’identifier la violence raciale comme une puissance déterminante dans l’univers visuel de la société civile ou de la modernité, mais qu’il s’efforce d’attirer notre attention sur tous les modes possibles de positionnement et de différenciation. À cette intersection cruciale (entre être vu et être senti) de ce texte de Fanon, qui est imprégné d’une « galaxie de stéréotypes érosifs », nous pourrions anticiper une rencontre volatile, mais productive, entre l’esclavage racial, l’histoire et l’odeur ou l’olfaction, de même que la structure de la perception.

Des pastilles pour urinoirs et des malles remplies de rubans : réflexion sur le Smell Club

par H Felix Chau Bradley, Lise Latreille, Danielle St-Amour · visuels: Lise Latreille · trad: Nathalie de Blois

Le Smell Club est né d’une rencontre ponctuelle dans le parc Jarry à l’été 2022. Nous commentions depuis des mois les publications en ligne des un·e·s et des autres sur les parfums, et nous avions finalement décidé de nous rencontrer. Timides au début, nous nous sommes rapidement laissé·e·s emporter par notre passion commune pour les échantillons de parfum. Nous avons discuté pendant des heures et nous n’avons pas pu résister à l’envie de nous revoir, encore et encore. Chacun·e d’entre nous apporte sa propre expérience au processus olfactif : Lise est photographe, Danielle est travailleuse culturelle, autrice et commissaire d’expositions en rétablissement, et Felix est auteur·trice de fiction et ancien·ne musicien·ne. Les rencontres régulières du Smell Club nous ont permis de développer des références et un langage communs, d’en savoir plus sur ce qui nous attire ou nous répugne sans avoir à être trop « expert·e·s » en la matière. Nous sentons les choses par curiosité et non pas en fonction d’avis et de critiques de parfums lus en ligne ou dans les livres, bien qu’il soit difficile d’y être complètement insensibles. Nous sommes voraces lorsqu’il est question d’odeurs, et nos rencontres sont parfois chaotiques, chacun·e traçant un chemin de désir collectif à travers nos collections.

Parfums : Exccéder la matérialité. Conversation avec les artistes Gabi Dao et Chloë Lum

par Maude Johnson · visuels: Gabi Dao, Chloë Lum, Yannick Desranleau · trad: Oana Avisilichioaei

Ce texte prend racines dans un entretien avec les artistes Gabi Dao et Chloë Lum, qui s’intéressent chacune à l’ontologie des parfums dans leur pratique artistique et leur vie personnelle. Axées sur les notions de présence et d’incarnation, nos conversations se sont articulées autour de différentes odeurs, autant de pistes à suivre et d’invitations olfactives vers l’imaginaire pour (re)découvrir les pratiques de ces deux artistes.

Deuil, traumatisme, parfum : une conversation avec Vicky Sabourin

par Jim Drobnick · visuels: Vicky Sabourin · trad: Catherine Barnabé

L’une des grandes complexités du deuil réside dans son caractère inexplicable. Même lorsqu’il est consciemment anticipé, comme lorsqu’un être cher est sur le point de mourir, l’expérience viscérale de cet état émotionnel s’avère d’une profondeur et d’une intensité inattendues. Ce que les lys odorants tentent de camoufler (2021) et Le lys de ta peau (2022), de Vicky Sabourin, ont vu le jour après les décès de son oncle et de sa grand-mère. Chargée de vider leur maison, elle a découvert plus de quarante ans d’objets accumulés, des odeurs suffocantes de tabac et de corps ainsi qu’une collection fétichiste de semelles de chaussures pour femmes. Pour l’artiste, ce deuil s’est doublé d’une confrontation sensorielle percutante avec les problèmes de maladie mentale et les abus qu’ont subis, durant l’enfance, les personnes aînées de sa famille. L’œuvre qui résulte de la gestion de la succession se déploie dans une installation, une performance et un coffret comprenant un livre d’artiste, des artéfacts, des odeurs et des sculptures portatives. Des fragrances réalisées sur mesure recréent des aspects de la maison des membres de la famille de l’artiste et évoquent les souvenirs qu’elle garde de leur vie ainsi que des éléments du traumatisme qui perdure à la suite de leur perte. Malgré la tristesse de l’expérience globale, Ce que les lys odorants tentent de camoufler a donné l’occasion à Sabourin et au public de transformer les sentiments de deuil et de traumatisme par le biais d’une rétrospection sensorielle.

Yto Barrada, Bad Color Combos

par Francesca Valentini · visuels: Yto Barrada

Bad Color Combos présente une sélection d’œuvres de différentes techniques créées par Yto Barrada, au cours de ces cinq dernières années, avec la complicité de sa fille Tamo, 8 ans. La petite s’amuse à rédiger des séries de listes dont l’une d’entre elles, notamment une liste de mauvaises combinaisons de couleurs, se retrouve dans les salles.

Sanaz Sohrabi, Extraction Out of Frame

par Siobhan Angus · visuels: Sanaz Sohrabi

Extraction Out of Frame at VOX, Centre de l’image contemporaine features the work of Sanaz Sohrabi, a Montreal-based, Tehran-born artist and scholar. Visually stunning and conceptually rich, the exhibition combines new and found photographs and film.

Le septième pétale d’une tulipe-monstre

par Ray Cronin · visuels: Caroline Boileau,

Le septième pétale d’une tulipe-monstre is an exhibition that envelops its viewer. Featuring the work of Caroline Boileau, Mimi Haddam, Ikumagialiit, Helena Martin Franco, Dominique Rey and Winnie Truong, the show demands much in terms of our attention, thought and willingness to forgo preconceived ideas; however, it delivers an experience that such cooperation only enriches.

Vaciar la Categoria

par Aude Sirey du Buc de Ferret · visuels: Regina José Galindo

Vaciar la Categoría est une exposition collective de quatorze artistes latino-américaines présentée au Musée d’art contemporain de Panama situé dans l’ancienne zone du canal. L’institution a d’abord travaillé avec Panama Fem Art Coalition, une association d’artistes panaméennes, en lançant un appel à projets à l’intérieur du pays.

Lynn Kodeih, Effacer voir ou le jour où j’ai arrêté de dessiner

par Robin Simpson · visuels: Lynn Kodeih

For her recent solo exhibition at Galerie de l’UQAM, Lynn Kodeih presents a meditation on immigration and space crossed by colonialism and corruption, the forms of belonging that territory and images command, and the melancholy and absence tied to image-making. Watchful of the ways identification is overdetermined through policy, nationalism and visual representation, and of the failings of images to fully actualize the presence they stand in for, Kodeih assumes negation as her guiding element.

Amélie Proulx, Les horizons marqueurs

par Véronique Gagnon · visuels: Amélie Proulx

Les œuvres d’Amélie Proulx devaient être présentées à la salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval en 2020. La pandémie et ses multiples confinements en ont décidé autrement, et le corpus de Les herbes de passage a dû emprunter un chemin différent. C’est finalement en 2023 que le travail de la céramiste à l’approche multidisciplinaire revenait en ce lieu, mais dans une forme distincte.

Jannick Deslauriers, Être imaginaire

par David Blatherwick · visuels: Jannick Deslauriers

Être imaginaire is a significant survey of seventeen years of Jannick Deslauriers’ intense production, which occupies the entire 1700 La Poste building. In both the mezzanine and basement spaces, numerous works from 2006 to 2019 are found in close contact, presumably as means of summarizing the expansive practice of an artist who found her voice right out of the gates of the undergraduate program at Concordia University. However, because of the nature of one’s progress through the spaces, these works act as an afterword rather than a preamble to what is the heart of the exhibition: the massive and compelling installation, Phasmes(2023), which is immediately present upon entering the building.

Nalini Malani, Par-delà les frontières

par Julie Alary Lavallée · visuels: Nalini Malani

Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) offre à son tour une vitrine à Nalini Malani (1946 —), artiste adoptée depuis quelques décennies par les grands musées et les biennales du monde. Rattachée à la jeune cohorte d’artistes des années 1990 qui constitue aujourd’hui le canon contemporain de l’Inde, dans la foulée des expositions panoramiques d’art indien qui ont bourgeonné internationalement au début du 21e siècle, Malani a pourtant amorcé sa carrière dans les années 1960.

Marc-Antoine K. Phaneuf

par Emmanuelle Choquette · visuels: Marc-Antoine K. Phaneuf

Depuis plusieurs années, Marc-Antoine K. Phaneuf incarne une posture au croisement des arts visuels et de la littérature. Dans sa pratique, ces deux disciplines agissent indissociablement au service de l’idée de départ. Ainsi, ses œuvres prennent la forme tantôt de livres, tantôt d’expositions, dans lesquels le texte devient une matière malléable et polyphonique. Il puise dans des répertoires variés, souvent bien ancrés dans la culture populaire ou qui résonnent avec la mémoire collective.

Granche/Atelier/Ville

par Jean-Michel Quirion · visuels: Pierre Granche

Au Centre d’exposition de l’Université de Montréal (CEUM), Laurent Vernet édifie Granche/Atelier/Ville, une exposition à la fois rétrospective et commémorative de l’artiste Pierre Granche (1948-1997). L’Université de Montréal (UdeM) est un lieu fondamental pour Granche. En 1972, il obtient une certification en enseignement des arts et contribue subséquemment à la fondation, en 1974, du secteur des arts plastiques du Département d’histoire de l’art à l’UdeM où il inculqua sa matière de prédilection jusqu’à son décès en 1997.

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