Les crimes politiques

L’assassinat politique à travers l’Histoire

par Jean-François Chiappe

Les Anglais nous étonneront toujours ; réputés hypocrites, ils ont pourtant affûté une formule - pressentie par tous les politiques depuis le meurtre de César, mais jamais précisée - Killing is no murder : Tuer n'est pas assasiner. Ce texte, dû au niveleur Sexby, passa très vite la Manche. Publié à Londres en 1657, il trouvait un éditeur dès l'année suivante, non point à Paris mais à Lyon.

L’Affaire Petitjean Les “barbouzes” aux abois se sont trompées de tête

par P.H. Renson

Route de Rouiba à Alger, le 27 février 1962. Il est exactement 13 h 45 . Trois hommes descendent d'une fourgonnette Peugeot 403 de couleur grise. Un quatrième homme, armé d'une mitraillette, reste à l'intérieur du véhicule... Ainsi débute l'une des affaires les plus mystérieuses de la guerre d'Algérie. En ce mois de février 1962, on approche du dénouement. C'est l'heure où se mêlent l'espoir et la résignation, l'illusion entretenue par le sentiment et le réalisme commandé par la politique. Avec, en toile de fond, des éclats de haine qui déchirent des chairs françaises sous le regard surpris - et ravi - des chefs du Front de Libération Nationale algérien.

L’Affaire Rudolf Klément Le secrétaire de Trotsky avait démasqué le “traitre” Mornard

par Léo Malet

Le 11 juillet 1938, vers 18 heures, un homme d'une trentaine d'années, d'aspect réservé, de grande taille, un peu voûté, au regard doux de myope abrité derrière des lunettes à monture de fer, aux longues mains étrangement fines et très caractéristiques, contrastant avec son allure générale qui rappelait plutôt celle d'un bûcheron, quittait, son inséparable serviette de cuir sous le bras, l'immeuble portant le numéro 224 de la rue de Vanves, dans le 14e arrondissement. Depuis bientôt un an, il passait à peu près tous ses après-midi en ce lieu, dans un atelier d'artiste mis à sa disposition par le poète surréaliste qui en était locataire. Ayant transporté dans cet endroit machine à écrire et archives - constituées principalement par des collections de journaux et revues en toutes langues - il rédigeait inlassablement articles et thèses politiques, entretenant une vaste correspondance avec des groupes répandus dans le monde entier.

L’Affaire Delgado Le général naïf voulait la place de Salazar

par Rinaldo Rocha

Longtemps, on l'avait appelé « l'homme tranquille du Tage ». Dans un Portugal dominé par l'écrasante personnalité d'Antonio Salazar, le général Humberto Delgado s'était taillé une réputation de grand serviteur de l'État. Militaire-diplomate, il avait offert à son pays le tremplin atlantique des Açores, dont le ralliement au drapeau lusitanien avait été un chef-d'oeuvre de consentement mutuel. Tel Cincinnatus retournant à ses labours, le général Delgado avait choisi l'ombre des eucalyptus, tout près du Tage, afin d'y goûter le repos des sages. Quiconque s'avisait alors de l'entraîner sur les sentiers des « soldats perdus » devait bientôt céder à la lassitude : - Il n'y a rien à en tirer ! Delgado sera toujours un salazariste...

L’Affaire Darlan L’amiral a-t-il été victime d’un règlement de comte ?

par Roland Bertry

Immobile, au garde-à-vous, Eisenhower saluait interminablement la dépouille de l'amiral Darlan. Sa bouche de batracien était figée dans un rictus sévère. Sa main, raidie sur la casquette, ressemblait à un couperet prêt à frapper les responsables d'un drame qui dérangeait la stratégie du Grand État-Major. Le Texan, si froid et si maître de lui, que Roosevelt venait d'imposer au commandement en chef des Forces alliées à l'Est de l'Atlantique, bouillait d'une sourde colère. Pendant la minute de silence, les war-correspondents américains se hissèrent sur la pointe des pieds pour scruter son visage. « Ike », quoique juché sur la seconde marche du parvis de la cathédrale d'Alger, demeurait à demi caché par la haute silhouette du général Giraud. La tunique à larges basques de l'évadé de Koenigstein, le bizarre caban kaki du gouverneur général Yves Chatel et le manteau très 1900 du général Noguès (les trois Français qui conduisaient les obsèques), tranchaient sur les tenues courtes et bien sanglées des officiers de l'U.S.Army. Un reporter américain chuchota : - Le « C. in C. » a les yeux rouges ... - La fatigue, sans doute, répliqua un Britannique. N'est-il pas revenu en toute hâte d'une tournée en jeep sur le front algéro-tunisien ? L'énervement, peut-être aussi... Ne dit-on pas que le général Clark, au téléphone, s'est borné à l'aviser d'un « événement très grave » survenu à Alger ?..

L’Affaire Bandera Le tueur du Smersh était un virtuose du pistolet au cyanure

par Roland Gaucher

Il s'était donné jusqu'à 13 heures ... - Si, à cette heure, il n'est pas là, eh bien, je m'en irai ! Dans son for intérieur, il souhaitait qu'il en fût ainsi, tandis qu'il surveillait les abords du 7, Kreittmayerstrasse, un immeuble de quatre étages à la façade lisse, grise et froide comme ce ciel d'octobre qui coiffait Munich. Mais peu avant l'expiration du délai qu'il s'était accordé, il vit l'Opel Kapitän bleue déboucher de la place, amorcer un virage et pénétrer dans la cour intérieure du 7. À partir de ce moment, son angoisse tomba et ses actes s'enchaînèrent avec un automatisme parfait. Il prit la clé qu'on lui avait remise et ouvrit la porte d'entrée de l'immeuble ; il pénétra dans le hall et commença de monter l'escalier. Soudain, dans les étages, résonna la voix claire d'une femme qui disait : « Auf Wiedersehen ! ». Cela n'était pas prévu au programme. Sans s'émouvoir, il redescendit, alla se poster devant la cage de l'ascenseur. La femme passa derrière lui et quitta l'immeuble. Une chose était certaine : elle ne pourrait pas le reconnaître.

L’Affaire Lemaigre-Dubreuil “La Main Rouge” avait condamné le partisan de l’indépendance

par Jean R. Groison

D'un geste sec, le sénateur X... referma le dossier. Puis il fit appeler le colonel : - Ordre de liquider Jacques Lemaigre-Dubreuil ! dit-il simplement. On était le vendredi 10 juin 1955, un peu avant midi. Un nouveau drame allait s'inscrire dans l'Histoire du Maroc. Que contenait donc ce dossier pour que, brusquement, la décision fût prise de mettre fin à la carrière d'un homme public de soixante et un ans, qui avait partagé sa vie entre la politique et les affaires ? Tout d'abord, une biographie. Fort succinte et digne de figurer dans le plus innocent des Bottins mondains. Jacques Lemaigre-Dubreuil est né le 30 octobre 1894, à Polignac, dans la Gironde. Après la Grande Guerre, on le trouve à la tête de la Fédération Nationale des Contribuables, sorte de poujadisme silencieux des années 34. Il y prend le goût de l'engagement. La guerre de 39-45 confirme cette propension à l'initiative hardie : en 1942, réfugié en Afrique du Nord, il fait partie d'un petit comité, le « Groupe des Cinq », qui prépare activement le débarquement américain en Algérie et au Maroc. Après avoir tenté de faire prendre le Pouvoir par le général Giraud, le « Groupe des Cinq » se rallie à Darlan. Mais l'Amiral de la Flotte ne tarde pas à être assassiné et Jacques Lemaigre-Dubreuil retourne à ses affaires, c'est- à-dire à la prospérité des huiles Lesieur (il avait épousé Mlle Lesieur entre les deux guerres), dont il fait une marque de réputation internationale.

L’Affaire Sikorski : L’espion qui venait du froid était auservice de Sa Majesté

Le mercredi 29 juillet 1970, les spectateurs de la télévision britannique ont vu apparaître sur leurs récepteurs le visage de Harold Philby, l'un des plus grands espions de notre temps. Il s'agissait d'un film tourné à Moscou par le propre fils du transfuge ; il avait cette particularité d'être muet. Philby avait su tenir sa langue pendant trente ans, de 1933 à 1963, et, à ce prix, était parvenu à gravir tous les échelons du service secret britannique au profit du K.G.B. (service secret soviétique). Son silence actuel, à Moscou, était éloquent. On le voyait dans son appartement cossu, lire dans le Times les résultats des matches de cricket, se promener en ville, prendre le train. Certes, ce film n'avait pu être tourné qu'à la condition de rester muet, en vertu des règles de sécurité du K.G.B., plus strictes que celle du S.I.S.

L’Affaire Tshombé Un “affreux” contretemps a achevé M. Tiroir-caisse

par Henri Renaud

Moïse Tshombé est bien mort - de mort naturelle - le 29 juin 1969, dans une villa du quartier d'Hydra à Alger, où les autorités algériennes le détenaient prisonnier. On peut même dire que jamais mort ne fut plus naturelle : une défaillance cardiaque le saisit en plein sommeil, aux environs de 2 h du matin. Le nombre même des médecins - un véritable aréopage international - qui se penchèrent sur cette défaillance fatale ne peut laisser subsister le moindre doute sur les causes du décès. Les pires adversaires du régime algérien en convinrent eux-mêmes, ce qui constitua à l'époque pour le gouvernement Boumediène un solide brevet de probité morale... Alors, demanderez-vous, pourquoi inscrire le nom de Moïse Tshombé parmi les victimes tragiques des assassinats politiques ? La réponse est toute simple. L'ancien leader du Katanga aurait certainement figuré sur cette liste si des circonstances, indépendantes de sa volonté, ne l'avaient finalement voué - lui, l'homme des violences - à mourir dans son lit, endormi sur son passé mais le sommeil encore empli de rêves d'avenir. Or, cet assassinat-qui-n'eut-pas-lieu mérite d'être conté.

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Inter Art et nature · makoto sei watanabe · masaharu takasaki · dôme fuller · parc éphémère · petitjean
#65
1996-06
5 €