Sportification

L’apolitisme sportif, ou le spectre de Pierre de Coubertin

par Sylvette Babin

J’écris ces lignes alors que les Canadiens de Montréal disputent et remportent la demi-finale de la coupe Stanley, une première en 28 ans. Ma rédaction est ponctuée par les acclamations des partisan·e·s rassemblé·e·s dans les bars avoisinants. L’indifférence que j’éprouve face aux sports d’affrontement fait alors place à un intérêt plus marqué pour les réactions citoyennes et je commence à suivre le pointage au rythme des clameurs. Je me surprends même à fouiller dans les analyses et les archives du hockey pour mieux comprendre les enjeux du match. J’apprends par exemple que le trophée Clarence S. Campbell (Division Ouest), exceptionnellement remis à l’équipe des Canadiens (Division Est) pour cette victoire, est nommé d’après le président de la LNH qui, en 1955, avait suspendu Maurice Richard pour toutes les séries éliminatoires, provoquant au Forum de Montréal une émeute que des historien·ne·s considèrent comme l’une des sources de la Révolution tranquille. Les sports de spectacle ont toujours été générateurs de passions (et certainement de violences), mais aussi, parfois, vecteurs de soulèvements sociaux plus fondamentaux.

La constellation sociale du stade

par Michael DiRisio

Figée dans une attente permanente, l’installation immersive Stadium (2020) de Jasper Marsalis prend la forme d’un cratère vaste et peu profond encerclé par un éclairage stadiaire si puissant qu’il domine toute captation de la scène réalisée de nuit. Une dépression circulaire, dépourvue de centre ou de sujet, destinée à un sport qui semble familier, mais qui reste indéfini. Ceux et celles qui visitent l’installation parlent d’une sensation de spectacle interrompu qui les laisse avec une impression de «scène suspendue» et de «vide troublant»1. Après une chute de neige, des pistes se tracent sous l’action des pas qui s’approchent de l’œuvre et s’en éloignent. Certain·e·s arpentent le périmètre du cratère; d’autres le traversent et se rassemblent au milieu. Pour ceux et celles qui, comme moi, n’ont pas pu se rendre sur place pour voir l’installation, cette sensation de vide inquiétant est amplifiée par les images captées en grande partie au moyen de drones et renforcée par l’écran lumineux de l’ordinateur. À distance, l’attente semble se prolonger à l’infini.

Trophées et monuments

par Noa Bronstein

L’architecture est à la fois forme et document social, contenant et instrument commercial. Fermement implantés dans l’imagi- naire culturel, les édifices agissent comme dispositifs politiques autant qu’ils délimitent l’espace. Voilà qui est manifeste, notam- ment, dans le cas des musées, des salles de concert, des ambas- sades, des écoles et des stades. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui feront l’objet de l’analyse qui suit. Dans des projets de Babak Golkar et d’Ala Younis, les stades et les formes qui s’y rapportent en viennent à constituer des typologies fascinantes en raison de leur association au sport, qui leur donne un rôle de prédilection dans la construction des nations et des mythes. À l’instar des bâtiments, qui ne sont jamais seulement des bâtiments, le sport pratiqué dans les arénas va bien au-delà de l’athlétisme pour s’insinuer profondément dans les sphères sociale et politique.

Jouer pour la galerie

par Florence-Agathe Dubé-Moreau

Au centre de la salle trônent des épaulières de football – armature vide maintenue en place sur une tige de métal – surplombées par un casque et agrémentées de chaussures à crampons au bas1. Les surfaces des pièces d’équipement sont recouvertes de tissu wax africain et, à l’image d’une cape ou d’une traine, des mètres de chaines cascadent jusqu’au sol à l’arrière de la sculpture. Au mur, une photographie, dont le grand format et le support textile évoquent les bannières sportives flottant dans les stades et arénas, donne à voir l’attirail de près de 70 kilogrammes porté par un jeune homme Noir2 qui fait presque dos à la caméra.

Pas de repos pour les braves

par Tak Pham

Le 28 aout 1982, à San Francisco, la superstar du rock Tina Turner offrait le spectacle d’ouverture des tout premiers Jeux gais internationaux. À ce jour, 10 de ces ren- contres sportives quadriennales ont eu lieu dans le monde, et la prochaine est prévue pour 2022, à Hong Kong. La mission originale des Jeux gais était de promouvoir la diversité sexuelle et l’inclusion, et de mettre en valeur les athlètes qui appartiennent à la communauté LGBTQ2+. S’il est certain que l’ampleur croissante de l’évènement au fil des ans témoigne d’une plus grande acceptation de la communauté LGBTQ2+ dans le monde, les Jeux gais ont quand même bien du chemin à parcourir pour atteindre la popularité d’autres rencontres sportives internationales. En 2018, par exemple, les Jeux gais accueillaient 91 pays participants, alors que les Jeux olympiques d’été, en 2016, en avaient accueilli 207. Ces chiffres montrent bien le contraste entre le degré d’acceptation des athlètes hétérosexuel·le·s et des athlètes LGBTQ2+. Du point de vue sociopolitique, les Jeux gais donnent à voir la frontière problématique, fragile et fluide qui sépare l’athlétisme et l’expression sexuelle – entrelacement du dehors et du dedans, de l’expression et de l’intimité qui intrigue bien des artistes queers, notam- ment Hazel Meyer, Ben McNutt et Derrick Woods-Morrow. Leur approche multi- disciplinaire donne lieu à des observations et à des perspectives queers nuancées qui révèlent à la fois les conflits internes du sport et la manière dont l’athlétisme est genré, sexualisé et régulé au sein de la société hétéronormative dominante.

Hazel Meyer

par Robin Alex McDonald

Les «archives non archivistiques» de Hazel Meyer sont consti- tuées d’une collection de photos qui, soigneusement accrochées à une structure métallique verte, illustrent «des moments frap- pants dans la culture du sport». Souvent présentée comme une partie de l’installation évolutive Muscle Panic (en cours depuis 2014), à côté d’un échafaudage plus complexe auquel sont sus- pendus des fanions, des maillots, des pompons et des filets remplis d’oranges, Non-archival Archive (Muscle Panic) (2018- 2021) joue le double rôle d’architecture d’exposition et d’«archives des sentiments». Selon Ann Cvetkovich, une archive de sen- timents est le produit d’une «exploration des textes culturels comme s’ils étaient dépositaires de sentiments et d’émotions1 » – description fort pertinente de la tendresse, de la joie et de la curiosité qui président au choix des athlètes, des équipes, des évènements et des moments que Meyer représente dans son tra- vail. En effet, hors de tout mandat de collecte et de toute straté- gie d’archivage, les images et les instants figés dans ces archives qui s’ignorent ont été sélectionnés grâce à une méthode fondée sur le désir, méthode qui révèle l’intérêt de l’artiste pour le fait queer, la contestation, l’esthétique, l’intimité et l’émotion.

Dans l’ombre du sport

par Bernard Schütze

Au-delà des diverses démonstrations de prouesse athlétique et de la compétition qui sont au cœur de cet évènement sportif international de grande envergure, les Jeux olympiques sont le lieu de multiples expressions du spectacle médiatique mettant entre autres de l’avant le nationalisme, l’image de marque d’une ville, la transformation urbaine, la perturbation sociopolitique et les lourds engagements financiers. Accueillir un évènement d’une telle ampleur a un impact à long terme sur les villes où les Jeux sont présentés. C’est sur l’influence tenace et complexe de l’évènement longtemps après la cérémonie de clôture que les artistes Jean- Maxime Dufresne et Virginie Laganière posent leur regard avec leur vaste série d’expositions Post-Olympiques / Olympic Afterlife (2014-2018).

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