Décomposition

Pourrir en paix

par Sylvette Babin

Dans le cycle de vie, la décomposition de la matière contribue à libérer les nutriments qui permettront à des organismes de naitre, de se développer, de mourir et de se décomposer à leur tour. Essentiel à tous les organismes vivants, ce processus microbiologique est étroitement lié à la régénération. La décomposition est une promesse de renaissance. Pourtant, dans l’imaginaire qui l’accompagne, l’idée de la décomposition provoque plutôt le dégout et un sentiment d’abjection. Pourriture, putréfaction, moisis- sure ou corruption sont autant de mots qui alimentent la répugnance et l’appréhension suscitées par la déliquescence.

Après la désintégration... quoi ?

par Todd Meyers

La détérioration, fondamentalement, est une perte – une décom- position, la preuve matérielle d’une désintégration –, mais pas nécessairement une disparition. Comme pour d’autres formes de pertes (au premier rang desquelles le deuil), quelque chose croît dans l’espace où la chose se sépare d’elle-même1. Cette transfor- mation suscite des attentes exagérées quant à son échelle, mais, quoi qu’il en soit de sa petitesse ou de sa lenteur, le changement qu’apporte la décrépitude agit.

Fabuler avec les mécaniques viscérales

par Caroline Déodat

« La défiguration apporte un surcroît de vie et arrive à humaniser ce qu’elle défigure. La défiguration augmente l’énergie vitale, mais d’une manière quelque peu perverse, en animant ce qu’elle détruit, en multipliant les connectivités parallèlement à la mort et à l’amputation, y compris, bien entendu, à travers l’acte d’écrire à leur sujet. »

Architecture du vivant

par Jean-François Prost

Depuis l’aube de la pensée constructive, l’intelligence conceptive aspire à élaborer des architectures capables de s’adapter et d’évoluer au gré des vicissitudes du temps – et des mutations sociétales. Le mouvement métaboliste en architecture1, né dans le Japon d’après- guerre, conceptualise des mégastructures2 « organiques » censées croitre et se régénérer à travers les époques, suivant une logique inspirée des systèmes biologiques appliqués à la haute technologie.

Vers les imaginaires du mycélium

par Emmanuel Leriche

Connu comme l’attribut des sorcières, le champignon évoque un univers obscur et mystérieux en poussant dans l’ombre secrète des forêts. Parfois comestible, parfois toxique, il est fondamentalement ambivalent et symbolise à la fois la corruption et la régénérescence. Le mycélium, pour sa part, est un organisme vivant composé d’une multitude de filaments ramifiés et constitue la partie végétative du champignon qui lui permet de libérer ses spores. On peut le voir parfois sur le sol des forêts ou dans du bois en décomposition, toutefois, en général, il se trouve sous terre et peut étendre son réseau sur des kilomètres à la recherche de nutriments. Également complexe, le mycélium décompose, au sein des écosystèmes, les matières mortes animales, végétales ou fongiques en sécrétant des enzymes qui créent un engrais naturel pour la flore environnante. Les réseaux mycéliens ne se manifestent pas dans le spectaculaire des catastrophes, mais opèrent de lentes transformations à l’abri des regards. Ils invitent par conséquent à reporter notre attention sur les activités discrètes qui se manigancent dans la terre, sous nos pieds, par- tout où l’on ne regarde pas. Leur fonction de dégradation a largement inspiré des représentations artistiques exploi- tant le mycélium et les champignons comme motifs apocalyptiques et postapocalyptiques. Dans ce sillage, l’artiste, scénographe et cos- tumière Johanna Mårtensson présente, dans une série de six photographies intitulée Décor (2009), l’évolution d’une ville miniature en mie de pain qui, lentement, se recouvre d’une pelli- cule de moisissure. Sous l’effet de son action, les immeubles commencent par se tordre avant de s’écrouler sur la dernière image. Accompagnant cette progression entropique, l’atmosphère des photographies s’assombrit peu à peu, ce qui confère à cette ville déserte un aspect lugubre qui rappelle des scènes postapocalyptiques où la végétation se développe librement, n’étant plus contrôlée par la main humaine. Dans la ville de mie de pain, la croissance de la moisissure appa- rait comme un agent destructeur. Elle perturbe l’aménagement urbain et manifeste la supréma- tie du temps dit naturel face à celui, compté, de l’être humain. Cette vision funeste met l’accent sur le processus linéaire menant de l’ordre au désordre à travers une vue frontale rappelant les motifs périssables des vanités. Le mycélium a ainsi à voir avec les aspects les plus infâmes de la matière et à ses formes amoindries allant du compost à la putréfaction. De la même manière que l’on se débarrasse des objets détruits, les matières ignobles, qui suscitent le dégout, sont mises de côté, voire éliminées. Les marais, par exemple, ont long- temps été redoutés, évités ou aménagés avant d’être valorisés en tant que réservoirs de bio- diversité. Les lieux, les formes ou les états les plus repoussants des choses sont souvent bien plus complexes que ce à quoi on a l’habitude de les réduire. Il en va de même pour le mycé- lium, qui décompose la matière tout en étant lui-même un organisme fondamentalement vivant et croissant. Prendre en compte cette relation nous mène à adopter un point de vue alternatif, à sortir des catégories et des imagi- naires préétablis et à penser à partir de ce qui est d’ordinaire délaissé. Ce caractère ambivalent est notamment mis en valeur dans les installations artistiques évolutives, comme l’œuvre RUINED (2023- 2024) de Sara Manente, Deborah Robbiano et Sébastien Tripod. Il s’agit d’une réplique d’une colonne antique édifiée à partir de blocs de subs- trat organique dans lesquels le mycélium s’est répandu en suivant la forme donnée et a créé des modules compacts aptes à être empilés. Au fil de l’exposition, les racines fongiques entrainent la croissance de champignons qui conduisent à l’al- tération de cette forme architecturale, qui voit ses contours brouillés par un organisme vivant. L’idée d

De-composition

par Xenia Benivolski

The Politics of Sonic Entreopy

Shannon Garden-Smith

par Joëlle Dubé · trad: Catherine Barnabé