Irénée Pache naît en 1945 à Ecublens, dans le canton de Fribourg. Aîné d’une fratrie, il grandit dans une famille modeste où son père travaille sur les chantiers et sa mère s’occupe des enfants. Très tôt, comme beaucoup d’enfants de la campagne fribourgeoise, il est envoyé dans les fermes pour aider aux travaux agricoles. Les journées sont longues, et la scolarité souvent reléguée au second plan. Il partage ainsi le sort de nombreux mineurs de l’après-guerre, orphelins ou issus de familles pauvres, que l’on plaçait comme main-d’œuvre bon marché. Ces années rudes forgent son endurance et son goût de l’effort. Plus tard, il entreprend différents emplois manuels avant de s’établir à Genève, où il se marie et travaille de longues années comme surveillant de musée. Il vit une retraite paisible. Le souvenir de l’enfance placée dans les fermes reste vif chez lui, et s’accompagne d’une volonté de témoigner de cette réalité partagée par toute une génération d’enfants travailleurs. Ce texte s’inspire du récit d’Irénée Pache publié sous le titre Des enfants placés, leurs avenirs sacrifiés (Editions Société des écrivains, 2020) et qu’il a gracieusement mis à la disposition de Sept.
Les enfants volés témoignent
Irénée Pache
Elisabeth Gillard
Elisabeth Gillard a 59 ans en 2021 lorsqu’elle confie son histoire à Alexandra Ferrero, qui lui donne visage dans la bande dessinée qui suit. Elle ne sait plus si elle avait 8 ou 9 ans quand, placée avec son aînée et sa cadette dans une grande ferme fribourgeoise, elle a commencé à travailler: ménage, porcherie, bêtes, garde des enfants. Elle est traitée en servante. «Je n’avais pas de vêtements pour me changer. On ne me parlait pas sauf pour me donner des ordres. Je ne pouvais pas me laver, mais au moins, ils ne me frappaient pas.» Contrairement à sa mère dont la violence paralyse ses sœurs et son père, un homme plus âgé, chrétien, effacé. «A sept ans, j’ai commencé à lui rendre ses coups», explique Elisabeth. Peut-être est-ce la raison pour laquelle sa mère se débarrasse d’elle en la plaçant. Elle a beau se cacher après l’école, les deux fermières de l’exploitation la retrouvent toujours et la ramènent dans cette ferme où elle assiste encore et toujours à la pire des violences, celle des mères sur leurs propres enfants. «Vous n’imaginez pas le bruit que fait un coup donné de toutes ses forces sur un petit enfant. Je ne l’oublierai jamais.» Alors elle prend la faute des petits sur elle, dès qu’elle le peut. A 16 ans, elle fuit cette atmosphère. Un certificat fédéral de capacité d’aide-ménagère, puis le diplôme de palefrenière-écuyère à Genève, son rêve. Enfin, la lumière: le travail choisi, des amis, la rencontre avec un homme qui devient le père de ses deux enfants. Et les chevaux qui referment la blessure. «Les meilleures années de ma vie. Les chevaux m’ont guérie.»
Claude Handschin
L’enfance de Claude Handschin se déroule à Genève pendant les années 1940, dans un foyer marqué par la pauvreté et l’alcoolisme. A l’âge de six ans, il est placé d’autorité par l’Etat, ainsi que ses sœurs, dans une maison de l’Armée du Salut, tandis que son frère rejoint une famille de maraîchers. Loin de ses parents, il découvre la discipline des orphelinats et l’absence d’affection, avant d’être transféré en Suisse alémanique, où la barrière de la langue et la rigueur de la vie institutionnelle ajoutent un terrible isolement au désarroi. Privé de la présence de sa mère, décédée en 1947, et séparé d’un père impuissant face aux décisions des autorités, il grandit dans un sentiment d’abandon et de solitude. Pourtant, il conserve le souvenir de quelques instants lumineux: une visite de son père, les complicités d’orphelinat, la pratique du sport ou de petites échappées culturelles. A plus de quatre-vingts ans, Claude Handschin revient sur cette enfance et sur la blessure indélébile laissée par le placement forcé, dans son livre Un parmi 100’000: une enfance volée (avec Maud Foucaut, 2018) dont nous publions ici un extrait avec l’aimable concours de l’éditeur Slatkine.
Daniel Pittet
Né le 10 juin 1959 à Fribourg, Daniel Pittet connaît très tôt la dureté de la vie: ballotté entre foyers et familles d’accueil, il subit dès l’âge de neuf ans les violences sexuelles répétées d’un capucin. Pendant quatre ans, deux fois par semaine, puis quotidiennement durant les vacances, l’enfant vit l’enfer dans le silence, la honte et l’isolement. Longtemps marqué par ces blessures, il décide de témoigner publiquement. En 2017, il publie Mon père, je vous pardonne (Philippe Rey Editions), livre préfacé par le pape François, où il raconte son calvaire, mais aussi le chemin du pardon et de la reconstruction. Marié et père de six enfants, il s’engage pour que d’autres victimes puissent trouver une voix et une reconnaissance. Le 23 septembre 2023, il est ordonné diacre permanent, symbole d’une résilience nourrie par la foi et la volonté de transformer une enfance brisée en un engagement au service des autres. C’est en 2021 qu’il se confie à Elsa Bersier, alors étudiante à l’Ecole supérieure de bande dessinée et d’illustration de Genève.
Marie-Josée Favre
C’est dans le canton de Vaud, en 1974, que Marie-Jo Favre naît et grandit au sein d’un foyer marqué par la violence, l’alcool et la haine que lui témoigne sa mère. Très tôt, elle doit protéger sa petite sœur et se débrouiller pour survivre. Le chien Blacky, compagnon inséparable, incarne alors l’unique présence affective de son enfance. A l’âge de douze ans, elle est placée dans une famille d’accueil avec sa sœur. Mais elle ne sera pas sauvée de la violence pour autant. Très jeune, elle sait ce qu’elle veut devenir: cuisinière, «pour préparer à manger à tous ceux qui ont faim». Marie-Josée Favre est une femme lumineuse, joyeuse et vivante, et la mère extraordinaire de trois enfants aimants. Son parcours est l’illustration remarquable qu’un enfant détruit peut, malgré tout, s’autoriser un avenir et une vie heureuse, enfin. Ce texte est tiré de son récit, Détruite mais debout, publié avec l’aide de l’association No Nein No qui édite et distribue le livre en Suisse.
Dominique Kläy-Bays
Née en 1963, Dominique Kläy-Bays a grandi en Suisse romande, entre les cantons de Vaud et du Valais. Son enfance est marquée par la séparation de ses parents à cause d’un père aussi violent qu’imprévisible, et un placement avec ses sœurs qui tourne au cauchemar. Très tôt, elle doit se débrouiller, déménager souvent, changer de lieu de vie, avec une peur profonde qui jamais ne la quitte et empêche toute solidarité entre les sœurs. Après l’école obligatoire, elle enchaîne les emplois: aide en restauration dans le Jura, ouvrière à Vevey, ou encore livreuse pour une marque de vêtements. Mariée et mère de trois filles, elle vit aujourd’hui dans le Jura bernois, à Perrefitte, dans une grande exploitation agricole familiale et travaille comme conductrice pour le réseau hospitalier de l’ARC à Moutier, accompagnant au quotidien des patients entre domicile, hôpital et consultations. Une vie paisible, altruiste, et heureuse. Ce texte s’inspire du travail de mémoire recueilli par Hélène Cassignol, pour le compte de l’association Agir pour la Dignité, qui a aimablement mis le texte à la disposition de Sept.
Rose Guex
Née le 6 avril 1946, Rose Guex grandit dans une famille marquée par le mépris maternel et l’instabilité. Très tôt placée dans des fermes ou des institutions, elle subit humiliations, privations, coups et abus, notamment à l’institut Duvillars puis à Sonnenwyl. L’enfance brisée, les pertes, les violences sexuelles jalonnent une vie semée d’épreuves. Exploitée par ses proches, trahie par ses compagnons, elle connaît aussi la maladie et la précarité. Pourtant, sa force de caractère, son sens du devoir et sa bonté l’empêchent de sombrer. Devenue mère, puis veuve, elle travaille sans relâche, assume même sa mère paralysée, et continue à se battre malgré un corps meurtri par les coups et la faim de l’enfance. Soutenue par la foi retrouvée et par quelques amitiés précieuses, Rose incarne une incroyable résilience: malgré tant d’embûches, elle choisit la dignité, la générosité et l’espérance. C’est en 2021 qu’elle se confie à Fanny Schöpfer alors étudiante à l’Ecole supérieure de bande dessinée et d’illustration de Genève.