Théorie express
Danse et dépense
Le réseau liminaire
OBJECT:PARADISE
C’est dans un bar de Prague que débute cette histoire – une histoire que des poètes du collectif OBJECT:PARADISE me racontent au cœur d’une nuit de janvier 2023. Je me trouve alors en Europe centrale pour suivre la piste des samizdats, ces livres faits à la main qui circulaient de manière non officielle, et souvent clandestine, en Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) d’abord, puis dans les pays du bloc de l’Est. Ces imprimés aux contenus variés (politique, artistique, littéraire, scientifique, religieux, légal, etc.) pouvaient constituer un moyen de contourner la censure qui régissait les domaines de l’expression et du savoir. Ils ont proliféré dans différents réseaux en s’accommodant des matériaux et des outils d’impression disponibles, dans un contexte où les gens impliqués dans la chaîne du samizdat s’exposaient à des mesures punitives de la part du gouvernement, dont l’emprisonnement. En Tchécoslovaquie, la période de répression qui suit le Printemps de Prague (1968) a constitué une sorte d’âge d’or de cette pratique d’autopublication.
De la programmation comme acte critique
On ne dira jamais assez l’importance d’accompagner, par la critique, les œuvres et le public. La situation actuelle du monde de l’art et de la culture, où les occasions de produire des critiques et les espaces pour les accueillir se font de plus en plus rares, requiert d’inventer des alignements qui placent la critique au confluent de l’art et des individus, c’est-à-dire en position de travailler le plus directement possible sur la réception.
Danser pour dépenser, dépenser pour danser
Fantasmons l’idée d’inviter une poignée d’artistes de la danse à concevoir une théorie alternative de l’économie. Pourquoi donc se laisser instruire par ces assoifé·es du mouvement qui semblent perdre systématiquement au change des budgets publics et dilapider leurs forces au-delà de ce qui est généralement convenu comme raisonnable – dépensant temps, argent, énergie pour se doter d’un corps sensible et capable qui, in fine, ne «produit» rien de concret? Comment établir la valeur de ces matériaux qu’ils et elles ont entre les mains, ces mouvements, ces gestes, ces abs- tractions qui se chiffrent mal, s’emmagasinent mal, se collectionnent mal, tout englués qu’ils sont dans l’expérience sensible?
Fragments pour une apologie de la réserve
C’est l’exclamation attendue du performeur. Ou bien celle d’un certain socius culturel: on aime l’idée que l’artiste se donne à fond, qu’il paye de sa personne pour nous présenter le spectacle de son exceptionnalité. On aime qu’il consume sa vitalité dans l’excès et qu’il s’offre à nous dans une per- formance que, secrètement peut-être, nous voudrions voir comme une version euphémisée du sacrifice.
Vie digne et vie indigne
Ce texte s’inspire d’une partition intitulée Dancing is…, qui a été dévelop- pée par les chorégraphes Zoë Poluch et Stina Nyberg afin de réclamer la capacité des danseur·euses à théoriser leur expérience subjective et à mettre cette théorie en pratique. Dans la lignée de cette partition, qui effectue un va-et-vient continu entre danser et écrire, je souhaite proposer ici un inventaire – ou un index – impressionniste des multiples façons dont la danse occasionne une dépense (d’énergie, de temps, d’engagement, de pensée, de répétition, de stratégie, d’argent, d’imagination, etc.). Chaque déclinaison de Dancing is… est une partition individuelle à lire ou à exécu- ter. Par la notation de ses diverses occurrences, danser devient un acte de langage qui, à son tour, génère encore plus de danse. La partition produit une danse qui en appelle une autre, et ainsi de suite, dans un mouvement incessant de gestes et d’écriture.
Une érotique de la dette: les performances de Gui B.B
Gui B.B est une artiste de performance dont les transfictions baroques impliquent d’assembler laborieusement des appendices de latex, de nylon, de liquides ensachés et de babioles ornementales. Monstre affamée, elle accumule des trouvailles bon marché qu’elle attache à son corps. Voûtés et lourds, ses membres faits de ready-made s’évasent, orifices béants. Elle chante, glougloute, respire difficilement, si tant est qu’elle res- pire. Quelque chose semble sur le point d’arriver, de jouir, mais non, une décom- position s’amorce et une nouvelle forme de soi apparaît.
Sarah Wendt et Pascal Dufaux
Avec la danse, on comprend que la matière n’est ni idiote, ni aveugle, ni mécanique, mais qu’elle a un rythme, un langage, un mouvement interne et une organisation propre. Nos corps ont leurs raisons qu’il nous faut comprendre, redécouvrir, réinventer.
La naissance de l’improvisation libre au Québec
Essai / Musique