Pierre-Noël Bernard

Champion

par David Doma

Derrière la vitre de la salle, le vent fait s’envoler la poussière d’une rue ; chaque maison ressemble à un bateau émergeant du brouillard. Je déteste cette saleté de vent d’automne qui apporte aussi des moustiques, même le matin. Des aboiements me parviennent aussitôt étouffés par la clameur de la foule. Oui, il suffit que j’apparaisse dans la salle pour que les gens explosent dans une sorte de rugissement. Enfin, ils font ça avec n’importe qui.

J’ai épousé une autre

par Philippe Nieto

Heureux Sébastien Cave. Il marchait à grandes enjambées, faisant la trace dans les herbes soyeuses et parfumées. Le silence. Les collines moutonnaient à l’infini, juste soulignées par de longs alignements de pierres cariées par le lichen. Très haut, le vol presque immobile d’un grand rapace non identifié donnait de l’épaisseur au ciel. Sébastien se plaisait à en imaginer la matière, le duveteux, quand il fut interrompu par une voix stridente.

Le frère

par Karima Berger

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Spéculum

par Janine Tesson

Elle lui a enfoncé l’instrument là, à la base du cou. Deux millimètres plus à gauche et c’était la jugulaire. Une folle. Elle est partie, le slip même pas enfilé correctement, tout tire-bouchonné dans le collant. Elle n’a pas pu faire démarrer sa voiture, elle tremblait trop. Elle est rentrée dans la pharmacie.

Ingénieur de surface

par Marco Wolf

Toutes les femmes de ménage vous le diront : les maisons remplies de bibelots sont leur cauchemar. Le travail s’en trouve carrément multiplié par deux, rien que de tout déplacer avant de passer le chiffon, avec en prime la hantise de casser ou de ne pas remettre à la bonne place.

Le secret de la rue Thérèse

par Anne Pietri

C’ est à la conjonction d’une grève des transports urbains et d’une pluie diluvienne que je dus ce jour-là d’avoir enfreint la consigne : ni ma mère, ni mon frère Paul, ni moi ne devions, sous aucun prétexte, déranger père dans le bureau qu’il s’était aménagé depuis plusieurs années, au deuxième étage du numéro six de la rue Thérèse, afin qu’il puisse y travailler en toute tranquillité.

Ophide

par B.Bohuon

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A l’ouest où il est mort

par Anne Riocreux

Cela m’a attristée d’abord, que Marc soit allé poser sa tête sur les rails. C’était un peu comme un échec pour moi qui n’avais jamais compris comment des hommes mariés pouvaient se tuer, et qui le comprends mieux maintenant que j’en ai parlé avec la vieille Jeanne et avec le curé et puis surtout avec Marie. Je me dis que les hommes sont parfois fatigués, surtout par ces temps et quand la vie est aussi dure qu’elle l’est pour nous, alors ils vont reposer leur tête sur les rails.

Refuge

par Sophie Stern

Je ne dois pas quitter la pièce où je suis, cette grande chambre glacée située à l’arrière d’une maison étrangère. La prudence est de mise. Au travers des rideaux, je devine un modeste jardin clos de murs où une herbe grasse s’affole sous les bourrasques hivernales. Dans un berceau, se trouve un bébé dont je ne sais ni le prénom ni l’âge. Pas plus de quelques mois. Heureusement, je n’ai pas d’enfant, autrement je n’aurais jamais pu entreprendre ce voyage, que dis-je cette fuite. La peur m’aurait clouée sur place. Seule, j’ai pu choisir. Entre deux risques, j’ai pris celui de partir.

L’année du chien

par Stéphane Mot

Mon petit plaisir du matin, c’est de sortir chercher le journal. J’ai bien pratiqué l’abonnement avec portage, mais ça n’a rien à voir : le temps d’ouvrir la porte, de ramasser le colis et de faire tomber une dizaine d’inserts publicitaires, tout est déjà terminé.

Le temps

par Lika Launay-Spitzer

Souvent je reste toute une journée à ne rien entreprendre des choses qui me passionnent, bien que j’en aie le temps. Tout se passe comme si le temps en marche était un véhicule clos, bizarrement hostile, un obstacle à mon cheminement plutôt qu’un moyen de transport adapté à mes desseins. Et le jour presque entier va s’écouler ainsi, moi courant lamentablement à côté du temps, à deux doigts sans cesse de me faire écraser, sans trouver de poignée pour l’ouvrir, grimper dedans et prendre le volant.

Marc de Montifaud (1849-1912)

par Eric Dussert

A l’heure où les « gender studies » tentent toujours de prouver qu’il existe une écriture sexuée, ou un sexe de l’écriture, la figure de Marc de Montifaud apparaît comme un contre-exemple absolu, doublé d’un poil à gratter très embarrassant. Elle n’est pas la seule d’ailleurs et l’on pourrait citer en renfort Renée Dunan, dont on ignore qui de Renée ou de Georges (Dunan) fut le prolifique ou le véritable créateur des deux. Pour dire vrai, Marc de Montifaud est ce que l’on connaît de mieux en matière de littérature androgyne. Et ce n’est pas le Chevalier d’Eon, qui écrivit bien peu, qui nous dira le contraire.

Le téléphone

par Marc de Montifaud

Il y a huit jours que j’ai pris congé de ma tante de Breuil pour revenir à Marly, où ma mère m’attendait. Lorsque je lui eus rendu toutes mes tendresses, je m’apprêtais à quitter sa chambre, quand après quelques instants d’hésitation, elle enleva ses besicles et me dit : — Demeurez une minute, ma nièce. Je crois de mon devoir de vous avertir que vous trouverez probablement chez vous des idées diamétralement opposées à celles que j’ai tâché de vous inculquer.

Huysmans nouvelliste ?

par Michel Lamart

Le Drageoir à épices, publié à compte d’auteur, chez Dentu, en octobre 1874, avait trouvé quatre lecteurs en un mois… Ce recueil, composé de poèmes en prose baudelairiens, contient quelques nouvelles (notamment « L’amour d’un paysan et d’une maraîchère » : Claudine) et quelques « croquis de concert et de bals de barrière ».

Henriette pour l’amour de Huysmans !

par Simon Passager

En 1984, année où l’oeuvre de Huysmans était proposée aux candidats à l’agrégation de lettres modernes, paraissait à l’Atelier du gué un ouvrage qui resta à peu près ignoré des libraires et de la presse, hors l’oeil attentif de Louis Nucera qui lui consacra une demi-page dans Le Monde. Tout un pan de la vie – finissante – de l’auteur de À rebours, méconnu mais non moins sulfureux était dévoilé par Henri Pevel, écrivain, poète et voisin de la communauté du couvent des Bénédictines de Dourgne (Tarn) qui accueillirent Henriette du Fresnel, jeune fille de bonne famille, et dernier « amour impossible » de Huysmans qu’il poussa à entrer dans les ordres, quand, atteint d’une cancer de la mâchoire, l’écrivain se sût condamné.