Le mendéisme

La diaspora mendesiste

par Patrick Rotman

Tout le monde a été, est ou sera mendesiste. La boutade avec l'aide du temps, prend allure de réalité ; les souvenirs déferlent en mythes et l'histoire bêtifie en légende. La petite troupe rescapée des traversées héroïques grossit à chaque évocation. La mort, elle-même, sacrifie au rituel, arase différends et affrontements, découvre une foule confondue dans l'approbation. L'effet d'unanimité révèle, au-delà des habituelles hypocrisies, un consensus souterrain sur un homme-symbole, placé au carrefour des courants sociaux et culturels qui ont, en une génération, subverti notre société. Le contraste n'en est que plus frappant avec la marginalité d'une démarche, la solitude d'une voix qui n'a, hormis un bref instant, rencontré d'écho que dans de modestes cénacles.

Mendès France, (s) mendésisme(s) et la tradition républicaine

par Claude Nicolet

Le sujet peut paraître insolite et paradoxal. Quand il atteint le sommet de sa popularité, en juillet-août 1954, puis peut-être, à nouveau, après la chute de son gouvernement, disons entre février 1955 et février 1956, ce n'est pas précisément en tant que représentant d'une « tradition », même républicaine, que Pierre Mendès France attire l'attention et retient les cœurs. C'est même, apparemment, pour des raisons toutes contraires : il est plutôt le chantre de l'avenir, celui qui parle de « renouveau », qui veut « changer » des habitudes déplorables, ouvrir et dépoussiérer.

Le confluent des modernités

par Stanley Hoffmann

Beaucoup d'observateurs ont remarqué que le mendésisme de 1953-1955 avait substitué un clivage entre générations au clivage classique entre la gauche et la droite. C'est très largement exact ; mais il serait plus exact encore de dire que le clivage principal opposera les modernes aux traditionnels : il y avait des modernes qui n'étaient point tout jeunes. Le souffle que Pierre Mendès France, lors de son investiture manquée en 1953, puis pendant les « sept mois et dix-sept jours » de son gouvernement fit passer sur la France était le souffle du renouveau.

De la méthode aux valeurs

par Marc Sadoun

Il y a comme un pouvoir magique du discours politique. Écoutons Pierre Mendès France : « Les questions qui se posent au pays sont graves, sans doute, mais elles sont simples. Il suffit que les données en soient clairement énoncées, que les options soient précisées pour que les solutions apparaissent, avec leurs avantages et leurs risques et pour que chacun soit en mesure de choisir ». C'est son premier discours d'investiture, son premier échec aussi. Il est peu connu, il dit des choses en apparence très banales, des évidences, mais il vient, en quelques mots, de donner naissance à un courant sur la seule définition d'une méthode de travail.

La naissance du mouvement Mendès France à Louviers dans les années trente

par David L. Clark

En 1932, Pierre Mendès France fut élu à la Chambre comme député de Louviers. C'était la première victoire, au XXe siècle, de la gauche dans cette circonscription rurale de Normandie, traditionnelle et conservatrice. Cette élection marquait aussi la première étape d'une longue carrière politique. Les méthodes conçues et employées par Mendès France et ses partisans à Louviers dans les années trente ont servi de modèle au mouvement Mendès France de l'après-guerre, elles préfigurent l'organisation de l'électorat et des cadres du mouvement et sont sources à la fois de ses faiblesses et de sa force.

Mendès France et le Parti radical

par Jean-Thomas Nordmann

Pour beaucoup l'appartenance de Pierre Mendès France au Parti Radical aurait précipité l'échec de son entreprise de transformation et de rénovation de la vie politique française. Toute interrogation sur les supports et les instruments de cette tentative ne peut manquer de rencontrer cette lancinante question : fallait-il s'enliser dans les procédures et les rites d'une formation que la disparition de la troisième République et les aspirations des lendemains de la seconde guerre mondiale semblaient avoir reléguée dans le magasin poussiéreux d'une comédie parlementaire surannée ?

Mendès France et les gauches, 1953-1958

par Paul Godt

Au cours des dernières années de sa vie, Pierre Mendès France acquit une sorte de vénération due aux hommes légendaires, vénération qui grandissait au fur et à mesure que l'on s'éloignait de l'époque où il fut président du Conseil. Pour beaucoup de gens Mendès reste l'homme du destin inachevé, l'homme dont la rigueur morale, la passion de la vérité, la rectitude avaient soulevé d'énormes espoirs de renouveau dans les mœurs politiques de la République.

Mendésisme des “travailleurs chrétiens ”

par Paul Vignaux

Un cas de « mendésisme » entendu simplement comme effet durable de la pensée et de l'action politiques de Pierre Mendès France sur la mentalité d'un milieu déterminé a été observable chez ces centaines de milliers de salariés qu'avant la constitution en novembre 1964 de la CFDT, seconde centrale syndicale française, on pouvait désigner comme travailleurs chrétiens en raison du lien que par militantisme, affiliation ou préférence électorale, ils manifestaient avec la CFTC fondée en 1919. C'est un trait notable de l'histoire française que l'influence intellectueUe d'un politique originairement « radical-socialiste » dans la mutation par « déconfessionalisation » (c'est-à-dire « laïcisation ») d'un mouvement syndical fondé comme chrétien en un syndicalisme socialiste par définition expresse, mûrement réfléchie au groupe d'études Reconstruction qui dès janvier 1946 en prépara l'avènement.

1956-1958 : Les brèves noces de Pierre Mendès France et des électeurs français

par Alain Lancelot

Qu'est-ce que l'électorat mendesiste ? La réponse à cette question ne s'impose pas absolument. Le nom de P. Mendès France ou l'adjectif qui en dérive apparaît trois fois seulement dans le titre d'une liste en janvier 1956 : dans les Côtes-du-Nord (Liste radicale mendesiste pour un Front républicain), dans la Meuse (Liste d'Union des Gauches sur le Programme Mendès France) et dans la première circonscription de Seine-et-Oise (Liste du Front républicain pour le Programme Mendès France). Il serait ridicule de s'en tenir là. Faut-il considérer l'ensemble du Front républicain qui regroupe pour ces élections le gros du Parti radical et de l'UDSR, la SFIO et une partie des républicains-sociaux (ex. RPF) ? Ce serait plus raisonnable.

Note sur le mendésisme et l’opinion publique

par Olivier Duhamel, Jean-Luc Parodi

A multiplier les définitions du mendésisme, risque d'échapper la plus simple, qui pourrait être historiquement la plus vraie. Pierre Mendès France fait figure d'exception parmi les hommes politiques de la IVe République, en ce qu'il est le seul dirigeant sous ce régime a avoir donné naissance à un nom commun à partir de son nom propre, en même temps qu'il est le seul président du Conseil de la IVe à avoir bénéficié d'une véritable popularité. Le mendésisme correspond donc à un phénomène d'opinion publique.

Mendès France et le général de Gaulle : l’impossible rapprochement

par René de Lacharrière

A la mort du général, l'émotion publique orchestrée par les médias n'incitait personne à s'aventurer hors de ses pompes funèbres. Suffisait, en revanche, d'y satisfaire par quelques grandiloquences tout excusées ou par les laconismes de la tristesse. P. M. F., seul, ou presque dans une voie très à l'écart de la facilité, voulut un commentaire réfléchi, pondéré, digne d'un peuple majeur qui se réclamait d'une longue et, en principe, forte tradition républicaine. Il fit paraître dans Le Monde un article où il rendait un hommage total au héros de la Résistance mais critiquait sans ménagements sa politique ultérieure. Le moment lui aurait paru mal choisi pour de l'hostilité : il convenait à la justice. « L'histoire, écrivait-il, demande nécessairement des comptes après un si grand rôle tenu. »

La décomposition du mendésisme sous la Ve République

par Hugues Portelli

Lorsque le général de Gaulle revient au pouvoir en 1958 et instaure enfin les institutions qu'il proposait depuis douze ans, ce qu'il est convenu d'appeler le mendésisme n'a que quatre ans d'âge. Autour de Pierre Mendès France s'est constituée une nébuleuse politico-sentimentale qui est conduite à se situer face à un régime qui semble, à plus d'un titre, répondre aux aspirations réformatrices de l'ancien président du Conseil. Pourtant, la condamnation sans appel des conditions dans lesquelles le général de Gaulle est revenu au pouvoir va rompre d'emblée toute ambiguïté : P. M. F. sera l'un des chefs de file de l'opposition à la Ve République, non seulement du fait du « vice de forme » qui a entaché ces institutions, mais surtout parce que ces institutions ne correspondent pas aux principes constitutionnels de celui qui restera toujours un républicain viscéralement attaché au parlementarisme fût-il modernisé.

Fatalité de l’échec?

par Guy Carcassonne

Certes, on ne peut parler de succès. Quels qu'en soient les critères la réussite fait défaut. Le mendésisme a ébranlé les habitudes de la vie politique française sans parvenir à les changer ; espoir d'une génération, il ne l'a pas concrétisé ; l'homme qui en fut créateur et symbole n'a que sporadiquement participé au pouvoir. Et si l'hommage rendu à sa personne, à ses idées fut pour la gauche non communiste constant depuis vingt ans, c'était, pour beaucoup, moins un acte de foi qu'un usage liturgique ; la droite quant à elle s'offrant la coquetterie occasionnelle de louer un homme qu'elle ne craint plus, d'honorer celui qu'elle a vilipendé, voire d'invoquer contre les démons du présent la statue du passé.

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